La 80e session du Comité de la protection du milieu marin, organe de décision au sein de l’Organisation maritime internationale pour les sujets en lien avec l’environnement, pollution comprise, devait être déterminante pour donner le tempo et jalonner l’agenda réglementaire de la décarbonation du shipping dans les décennies à venir.
Dans cette instance, où les négociations sont difficiles car il faut obtenir le consensus des 175 États membres aux intérêts souvent divergents voire incompatibles, la moindre anicroche – doute, scepticisme, franche aversion à l’égard d’une soumission – peut suspendre la décision et renvoyer son examen à un groupe de travail. Les raisons d’un ajournement sont cette fois multiples. Les délégués des différents états membres doivent décider de la trajectoire de décarbonation de leur pavillon pour les prochaines années, sachant que celle qui a été arrêtée en 2018 après une décennie interminable de palabres manque de souffle au regard de l’urgence du moment. La révision envisagée entend rehausser la barre pour atteindre le zéro émission dans moins de trois décennies alors que l’accord actuel prévoit de réduire de moitié les émissions du secteur d’ici à 2050 par rapport à l’année de référence 2008.
Les précédentes réunions du MEPC ont plutôt déçu, hésitant entre les partisans d’une ligne qui ne transigent pas avec les objectifs de l’accord de Paris et les disciples du statu quo renvoyant la neutralité carbone à la fin du siècle.
La ligne dure est partagée par 27 États membres de l’UE, les États-Unis, les pays du Pacifique, les Îles Marshall et Salomon (les plus radicaux dans ce sens) et de plus en plus de pays africains.
Un bloc monolithique, composé des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), reste hermétique à l’idée de revoir à la hausse les objectifs actuels, jugeant les ambitions irréalistes alors que le secteur vient à peine de prendre conscience qu’il ne pourrait pas faire l’économie d’une quatrième révolution industrielle, celle de la propulsion.
L’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Indonésie, la Turquie et les Émirats arabes unis (qui accueillent les négociations climatiques de la COP28) se sont rangés derrière cette position, soutenue par la crainte que la décarbonation ait un impact disproportionné sur les exportateurs de matières premières, géographiquement éloignés de leurs marchés. À peine s’entendent-ils sur un « niveau d’ambition renforcé », mais sans que les délégués ne se mettent d’accord sur des objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040.
Un autre point ne fait pas non plus consensus. Tous s’accordent à dire qu’il faut un environnement politique incitant à l’adoption de technologies et de combustibles de soute sans carbone pour les rendre compétitifs par rapport aux carburants d’origine fossile. Mais le cadre – qu’il s’agisse de normes techniques ou de mesures fondées sur le marché, telles que des instruments de tarification du carbone –, est toujours attendus.
La destination des recettes dégagées par une taxe carbone est aussi un sujet de tensions, notamment avec les États membres représentant à l’OMI les pays émergents et en voie de développement, qui subissent les effets climatiques que les pays développés ont engendrés.
L’issue du MEPC80 sera, sur un autre plan, déterminante à la fois pour la crédibilité de l’OMI en tant que régulateur mondial alors qu’elle est court-circuitée par des institutions régionales, telle l’UE avec son Green Deal, qui piétine ses prérogatives en superposant des réglementations.
Mais il en va aussi du signal envoyé au marché, les exploitants de navires attendant ces modalités pour enclencher les investissements qu’ils devront engager sur la durée de vie d’un navire.
Plus l’agenda s’étire, soufflent les dirigeants des compagnies maritimes, plus la transition sera coûteuse et chaotique. « Il est essentiel que MEPC80 fixe un niveau d’ambition élevé. Une fois que nous nous serons mis d’accord sur ce point, le format des mesures techniques, politiques, comme les normes en matière de carburant, et économiques suivront rapidement », prêche Kitack Lim, le secrétaire général de l’OMI, estimant qu’il faudra ensuite deux à trois ans pour élaborer les mesures et politiques spécifiques.
Constant dans son optimisme à toute épreuve, le secrétaire général de l’OMI, dont le mandat s’achève en décembre, n’a eu de cesse d’exhorter en ouverture des MEPC les délégués à « faire preuve d’audace » dans leurs négociations, avec un succès souvent mitigé, et n’a cette fois encore aucun doute. Il l’affirme haut et fort: il est convaincu qu’ils vont prendre les « bonnes décisions » car « ils savent ce que nous devons faire ».
Dans le cadre d’une taxe, un prix fixe est imposé pour le carbone mais aucun objectif de réduction des émissions de CO2, le prix étant censé dissuader de polluer. Dans le cadre des quotas d’émission, il existe un plafond maximum établi qui sera resserré dans le temps, mais le tarif carbone peut fluctuer. « Ce système est une mesure efficace si le plafond d’émissions est bien calibré et si les quotas initiaux sont mis aux enchères plutôt que fournis gratuitement aux entreprises », considère l’ITF. Mais ils sont complexes à mettre en œuvre et la volatilité de leurs prix peut retarder les investissements dans les technologies à émission zéro. En comparaison, les taxes sur le carbone sont plus simples sur le plan administratif et réduisent l’incertitude sur les prix du carbone.