Après des décennies avec comme seules boussoles l’abondance et le PIB, le monde avait presqu’oublié que l’économie avait aussi une dimension physique, toute production nécessitant des matériaux et de l’énergie. Alors que seule la perspective de la fin des énergies fossiles motivait jusqu’à présent des décisions de restrictions, une autre urgence s’est invitée à l’agenda international: les limites écologiques des activités émettrices de CO2. Avec le bouleversement climatique, une « économie de la panique et de la rareté » a pris le pas. Dans ce contexte, réduire les consommations et répartir les efforts de sobriété entre les secteurs est devenu l’alpha et l’omega des politiques publiques. Les stratégies bas carbone s’insèrent à tous les niveaux, national, européen, international. Si bien que les périmètres de compétences se brouillent.
Le transport maritime, activité par essence internationale, est régi par l’Organisation maritime internationale (OMI). Mais la politique proactive de l’UE depuis l’arrivée en 2019 à l’exécutif de la présidente Ursula Von der Leyen (dont le groupe politique est une vaste coalition entre les socialistes, les démocrates-libéraux et les conservateurs-réformistes) est venue bousculer l’OMI dans ses prérogatives.
La feuille de route climatique de l’UE, qui s’est engagée de façon très ambitieuse à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 62 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, repose sur le paquet législatif Fit for 55 et, pour ce qui est du maritime, sur le règlement « Fuel EU Maritime ». Au programme notamment, l’intégration du transport maritime dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE), auquel il échappait jusqu’à présent, le règlement Afir sur les infrastructures des carburants alternatifs aux combustibles fossiles et la directive sur l’énergie (ETD). L’ensemble parvient, aux termes d’un long cheminement parlementaire, à l’étape des négociations tripartites entre la Commission, le parlement et le conseil européens. L’extension du système d’échange de quotas d’émission communautaires aux routes maritimes de l’Union à partir de 2024, qui revient à confier la question aux régulateurs régionaux et nationaux, et la prise en compte financière des émissions de carbone du maritime, qui sera une première mondiale, brisent deux monopoles de l’OMI (et plusieurs tabous): le contrôle régional de certaines émissions internationales et la taxation du transport maritime international.
Pendant ce temps, les délégués des 175 États membre de l’OMI réunis en juillet pour la 80e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC 80), où se négocie le futur paysage réglementaire du shipping, doivent acter le principe d’une révision à la hausse des objectifs en matière de décarbonation à défaut de s’entendre sur les objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040 ou sur le zéro émission d’ici 2050. Alors que l’OMI prévoit de réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, le niveau est jugé bien trop faible pour se conformer aux objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat.
Une lecture optimiste retiendra néanmoins le ralliement d’un nombre croissant de pays à l’idée de durcir les objectifs. Mais le projet de texte, qui sert de base au cycle de négociations, se contente « d’un niveau d’ambition renforcé ».
Si le marché carbone européen était appliqué aujourd’hui dans les termes prévus
* Le cadre prévoit une couverture progressive: 40 % des émissions du secteur en 2025 (sur la base des émissions enregistrées l’année précédente), 70 % en 2026 et 100 % d’ici à 2027.