La tarification du carbone est-elle applicable au transport maritime?

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Sur les 68 systèmes de tarification du carbone actuellement opérationnels dans le monde, très rares sont ceux qui couvrent le transport maritime. à l’ordre du jour de l’Union européenne comme à l’agenda international de l’OMI, le marché carbone est un des grands sujets du secteur. Une étude de l’International Transport Forum, organisme de l’OCDE, pose les termes de cette équation aux multiples inconnues.

La tarification du carbone est-elle applicable au transport maritime? La question se pose tant cette mécanique complexe et aride s’appuie sur de multiples inconnues et sans qu’on sache encore comment elle va modeler le secteur. Une étude de l’International Transport Forum (ITF, OCDE) arpente les rouages de ces systèmes jusqu’à présent rarement appliqués au transport maritime. Sur les 68 systèmes de tarification du carbone en vigueur dans le monde, un seul, en Norvège, couvre en effet les émissions du transport maritime. Quel sera l’impact d’un carbone tarifié sur la demande de transport? Quelles répercussions sur les routes maritimes? Comment les échanges vont s’en trouver modifier? Peut-on éviter les fuites carbone? La tarification peut-elle exacerber le phénomène de concentration d’un secteur déjà oligopolistique? Qui doit payer le prix du carbone dans une chaîne aux nombreux intermédiaires? A quoi doivent être affectées les recettes?… L’étude pose à peu près toutes les questionnements restés sans réponses jusqu’à présent faute de données.

Sous quelles formes existent les 68 marchés carbone en vigueur?

Sur les 68 marchés carbone actuellement en vigueur à différents échelons, international, national, régional, 37 portent sur des taxes sur le carbone et 34 via des systèmes d’échange de droits d’émission. Ils couvrent environ 23 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et ont rapporté 84 Md$ de ressources en 2021, selon la Banque mondiale. D’après les sources, quelque forme qu’il puisse prendre, le carbone tarifié aurait peu d’effet sur les réductions des émissions, entre 0 et 2 % par an. Un comble, les pays sans tarification auraient même limité leurs émissions plus rapidement que ceux avec. Ces études s’appuient sur des périodes où les prix du carbone étaient très faibles et l’allocation gratuite de quotas omniprésente, nuance Olaf Merk. Or ces deux points lui semblent déterminants. « La seule tarification du carbone est souvent insuffisante car les prix sont trop bas pour atteindre les objectifs climatiques », indique-t-il. Une autre étude indique en effet que pour chaque augmentation de 10 €/t du prix du carbone, les émissions diminuent de 7,3 %. Seuls huit systèmes avaient un prix du carbone de 80 $/t ou plus en 2021 (UE et Royaume-Uni), dont deux au-delà de 100 $/t (137 $/t en Uruguay et 130 $/t au Liechtenstein, en Suède et en Suisse). Mais « ils se situent quand même dans la fourchette basse des 44 à 805 $ nécessaires pour parvenir à une décarbonation complète. Les prix du carbone ont généralement augmenté au fil du temps et divers pays ont établi des trajectoires de prix plus ambitieuses pour les années à venir. Toutefois, les récentes hausses des prix des produits énergétiques de base pourraient retarder ce calendrier », craint le spécialiste.

Comme éviter l’évasion?

La tarification du carbone est-elle applicable à un secteur dont le rayon d’action est mondial sachant que le risque de l’évasion n’est pas une foucade. « Lorsque différents systèmes de tarification du carbone sont appliqués à des zones géographiques limitées, le risque d’y échapper augmente ». Selon l’ITF, la mesure doit donc être mondiale, « seule façon de garantir des conditions de concurrence équitables à toutes les entités taxées et d’éviter toute incitation à l’évasion ». En clair, éviter les systèmes de tarification régionaux qui ne s’appliqueraient qu’aux navires immatriculés sous certains pavillons. Sans cela, les compagnies maritimes pourraient s’exonérer en changeant le pavillon du navire si la tarification du carbone est liée au pavillon d’un pays ou en changeant de port et d’itinéraire si elle s’applique à des ports ou à des eaux territoriales spécifiques. Dans le cas du système européen, le champ d’application comprend non seulement les émissions du transport maritime entre les ports de l’UE, mais aussi 50 % des émissions des voyages d’un pays tiers de l’UE vers un port de l’UE. Selon la société de recherche et de conseil CE Delft, il existe au moins sept façons différentes pour les compagnies maritimes de contourner le mécanisme, parmi lesquelles l’ajout d’une escale supplémentaire juste en dehors de l’UE et l’approvisionnement des ports de l’UE à partir d’un port pivot non européen.

Qui doit payer le prix du carbone?

L’idée maîtresse de la tarification du carbone est le « principe du pollueur ». Dans le cas du transport maritime, le navire le plus polluant devrait donc payer davantage. « Il faudrait mettre en place une structure garantissant que chaque navire paie le prix du carbone approprié. Il pourrait être perçu par les administrations du pavillon [l’organisme de réglementation maritime sous lequel le navire opère], par les administrations de l’État du port ou de manière centralisée par une institution internationale », préconise l’ITF. Dans le cas où les taxes seraient perçues au niveau des installations de soutage des navires, les responsabilités sont plus diffuses. « L’efficacité énergétique dépend à la fois des spécifications technologiques et opérationnelles du navire. Pour les premières, l’entité responsable est l’armateur. En revanche, l’opération incombe à l’armateur si le navire est affrété sur le marché spot et à l’affréteur s’il est loué sur le marché de l’affrètement à temps. »

Qui perçoit et qui redistribue les revenus?

Là encore, la question se pose compte tenu des spécificités du secteur très parcellisé, avec un navire qui peut être possédé, exploité, géré et doté d’un équipage par quatre sociétés différentes, chacune étant chargée d’une responsabilité différente et ayant des intérêts commerciaux différents. Quel acteur doit payer le prix du carbone et pour quelle quote-part? L’étude n’y répond pas vraiment. « Il pourrait s’agir d’un mécanisme sous les auspices de l’OMI ou d’une autre organisation des Nations unies [comme le Fonds vert pour le climat]. »

Peut-elle favoriser des phénomènes de concentration?

Les systèmes de tarification du carbone pourraient être discriminatoires à l’égard des petits opérateurs, dont la plupart ont des navires plus petits et plus anciens. « On peut craindre en effet que les systèmes de tarification du carbone n’accélèrent la tendance à la concentration du marché. Les grands transporteurs mondiaux ont la capacité financière nécessaire pour renouveler leur flotte. Cet effet pourrait être particulièrement important lorsque les taux de fret sont bas et que l’avantage des navires plus grands et plus économes en énergie est plus évident » Il existe également un risque de voir apparaître un marché à deux vitesses, avec des navires plus économes en énergie opérant sur les routes internationales et d’autres moins éco-efficients sur les routes régionales ou nationales, ou des marchés secondaires susceptibles d’être situés dans des économies en développement ou émergentes.

Quel mécanisme?

L’association prône un mécanisme sous la forme d’un système de redevance, qui obligerait tous les navires émettant des gaz à effet de serre à payer une taxe dont la recette servirait à subventionner les aternatives à émissions nulles aux combustibles fossiles. Les plus vertueux recevraient une sorte de rabais couvrant la différence de prix entre les carburants, rabais qui serait financé par prélevement sur les navires persistant à brûler des combustibles fossiles. « De cette manière, le système de ’feebate’ incite les opérateurs à adopter rapidement des sources d’énergie sans émissions tout en faisant peser sur les retardataires des coûts plus élevés et une pression croissante pour se convertir », suggère Olaf Merk. Un ensemble de pays à l’OMI défendent peu ou prou un schéma similaire. Si les circonstances se prêtent à un débat mondial constructif sur l’un des sujets les plus rugueux du shipping, l’étude de l’ITF a pour mérite d’en poser les termes, de façon assez renseignée, et ainsi de ne pas louper la première marche, celle de l’ingénierie du système, qui doit être, du point de vue de l’organisme de l’OCDE, « équitable, efficace et transparent ».

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