Juste avant la tenue du Sommet sur le nouveau pacte financier mondial, la Banque mondiale a sorti en amont ses préconisations… usage des revenus carbone tirés de la taxation du transport maritime et les conditions pour que les recettes, qu’elles soient issues d’une taxe carbone ou d’un système de quotas, contribuent efficacement à « une transition énergétique juste et équitable ». La Banque mondiale (BM) faisait partie des institutions financières internationales qu’Emmanuel Macron a réunies fin juin à Paris avec plus de 300 chefs d’États, ONG et entreprises. Avec pour finalité d’établir une architecture financière qui permette de trouver le millier de milliards (selon les experts de la COP27) que va coûter la réalisation des 17 objectifs de développement durable adoptés en 2015 par les Nations unies. Dans la liste figure entre autres la réduction des émissions de gaz à effet de serre durant ce siècle afin de contenir le réchauffement climatique, sachant qu’il s’agit de combler la fracture entre des États du sud qui récoltent en catastrophes naturelles XXL ce que les États industrialisés du nord ont semé ces deux cents dernières années.
À l’issue de l’événement, le pacte financier est resté à l’état d’intention louable. La refonte du système financier international attendra encore un peu. Et tandis que la communication de l’Élysée avait préparé les esprits en amont en indiquant que le chef de l’État proposerait une taxation internationale du transport maritime, les compagnies, qui bénéficient d’un statut d’exonération fiscale, disposent d’un nouveau sursis. Quoi qu’il en soit, la démarche avait peu de chance d’aboutir. Mais à défaut, le sommet aurait pu fixer un calendrier pour son introduction. Rien de cela. Toutefois, une vingtaine de pays et organisations régionales ont apporté leur soutien à l’idée, a déclaré la présidence française à l’issue du sommet. Si l’objectif recherché était la mise sous pression du MEPC 80, Emmanuel Macron a réalisé un droit au but. Dans ce camp des 23 pays, on retrouve en réalité la ligne de démarcation observée avec l’OMI.
Le rapport de l’institution financière, qui tient en une cinquantaine de pages, passe en revue les principales options d’utilisation des revenus du carbone, analyse si le fait de les réserver exclusivement au seul secteur du shipping est « susceptible de maximiser les résultats en matière de climat et de soutenir une transition équitable », fournit des exemples de domaines d’investissement possibles, examine les potentiels bénéficiaires et les priorités dans les allocations. Il n’échappe pas à quelques lapalissades avec, au choix, « allouer une part des revenus carbone en priorité aux pays en voie de développement et aux petits États insulaires pourrait contribuer à une transition énergétique efficace et équitable du secteur » ou « permettre à tous les pays d’accéder aux revenus du carbone pourrait contribuer à garantir la disponibilité de combustibles de soute sans carbone dans le monde entier ». Mais les préconisations, parfois un peu faciles à l’emploi, auront été verbalisées, démontrées par des études et authentifiées par une institution internationale.
La tarification du carbone dans le transport maritime international n’est pas un sujet nouveau. La manière dont les revenus du carbone pourraient être utilisés, gérés et gouvernés occupe depuis un certain temps une partie des débats du MEPC et des groupes de travail intersessions sur la réduction des émissions de GES des navires (ISWG-GHG) qui se réunissent en amont de chaque Comité. Les débats à ce propos se focalisent actuellement sur l’environnement politique requis pour rendre les combustibles de soute et les technologies sans carbone disponibles et compétitifs par rapport aux énergies basées sur le pétrole.
Dans le jargon de l’OMI, il s’agit des mesures dites de moyen terme (d’ici 2030). Parmi celles qui tiennent actuellement la corde, notamment soutenues par les organisations professionnelles, figure la proposition d’une mesure de marché génératrice de recettes, qui pourrait prendre la forme d’une taxe sur le carbone ou d’un système d’échange de droits d’émission où les quotas seraient vendus (et non alloués gratuitement).
La BM reprend des modélisations économiques issues de plusieurs travaux. Il est convenu dans le secteur qu’une tarification du carbone pourrait rapporter entre 1 000 et 3 700 Md$ d’ici à 2050. C’est ce que soutient notamment le Maersk Mc-Kinney Møller Center for Zero Carbon Shipping, centre de ressources créé par Maersk avec de grandes entreprises. Cela correspondrait à une moyenne annuelle de 40 à 60 Md$ entre 2025 et 2050. Pour dédommager les premiers à se lancer dans la transition, l’association propose l’introduction progressive d’une taxe suivant le rythme du passage de la flotte à des carburants alternatifs, plus chers et à plus faible teneur en carbone. Il fixe cette taxe entre 50 et 150 $ tout en suggérant un montant plus élevé afin de disposer d’une réserve de fonds qui permettrait d’accompagner les pays en développement dans la transition énergétique et de financer la R&D sur les combustibles verts, les infrastructures d’avitaillement et le renouvellement de la flotte.
La BM est généreuse dans sa redistribution des fonds, estimant qu’ils doivent bénéficier en priorité aux navires (moteurs sans carbone ou technologies d’efficacité énergétique), aux investissements à terre (production et distribution de combustibles de soute sans carbone), voire à la R&D (dans des technologies sans carbone). Pour renforcer les infrastructures, le bailleur mondial priorise la résistance des ports à l’élévation du niveau de la mer, la formation des marins à l’utilisation de carburants et de technologies sans carbone, ou encore la numérisation et l’amélioration de la desserte de l’hinterland. La banque de développement estime enfin que les ressources générées doivent aussi être fléchées vers l’adaptation des pays au changement climatique pour prévenir les inondations ou l’érosion côtière ou encore développer des puits de carbone tels que les forêts et les zones humides.
Le rapport considère que l’affectation « stratégique » d’une part importante des revenus du carbone au transport maritime est capitale pour couvrir une partie des investissements et mobiliser des fonds publics/privés. Mais une part des revenus doit, plus encore, être réservée aux pays en voie de développement dont les « possibilités d’investissement à grande échelle dans la modernisation et le renouvellement de leur flotte sont quasi inexistantes ». Les auteurs insistent par ailleurs sur le « déficit entre les flux financiers et leurs besoins en la matière » et sur la concurrence qu’ils subissent dans la quête de fonds avec des pays « qui rencontrent moins d’obstacles pour y accéder ou sont moins vulnérables au changement climatique ».
La Banque, dont l’organe de décision est composé de ministres des Finances, considère les gouvernements comme les gestionnaires les plus appropriés pour ces fonds. Le rapport défend une « gestion active » des revenus du carbone, les projets et les programmes financés étant sélectionnés par le biais d’un processus d’appel d’offres. Dans ce cadre, les propositions seraient (assez classiquement dans le domaine du financement climatique) évaluées en fonction des politiques et des critères du fonds. Le cadre proposé, qui se compose de trois guichets de financement et de trois leviers – les bénéficiaires, l’utilisation et les conditions de financement –, déterminerait quels pays peuvent accéder à quel guichet de financement, pour quelle utilisation et à quelles conditions de financement.