Transport à la voile : quand l’évidence advient

Article réservé aux abonnés

L’accélération est manifeste. L’offre de gréements s’étoffe tandis que les pionniers sont en train de consolider leurs expériences. Les néo-armateurs ont lancé leurs premières commandes. La fabrication des voiles est sur les rails avec trois usines en France. L’intérêt est éveillé chez les armateurs conventionnels qui multiplient les expérimentations.

Le transport maritime a mis un temps inestimable pour se débarrasser des choses encombrantes en pontée et voilà que des millénaires après l’apparition d’un bateau équipé d’un mât et d’une grande voile carrée avec une assistance à la galère, la propulsion vélique fait son retour par la grande porte des technologies avancées. « On sait bien mieux utiliser le vent aujourd’hui », assure Yves Parlier, légende de la course au large. « Les techniques ont considérablement évolué, notamment le kite qui peut développer une force phénoménale au portant. De tous les dispositifs véliques, il est, à surface égale, le plus performant, a l’empreinte environnementale la plus faible, ne génère pas de couple de chavirage comme un mât et une voile, ni de traînée. Il n’empiète pas sur les marchandises et ne gêne pas le déchargement. Il est idéal pour le rétrofit », énumère l’ingénieur-marin, aujourd’hui embarqué dans l’aventure commerciale de Beyond the Sea. La société, basée à Bordeaux, a conçu un kite sans mât et avec une voile tissée à base de vectran, développée par le spécialiste lyonnais des tissus techniques Porcher. Avec son système, l’entreprise estime à 20 % l’économie sur les coûts du bunker.

Les néo-armateurs, comme ils sont désormais qualifiés, « sont extrêmement ambitieux en termes de décarbonation », introduit Lise Detrimont, déléguée générale de Wind Ship, l’association qui fédère depuis 2019 les pionniers de la filière. « Ils vont non seulement jouer sur les émissions générées dans la phase de transport maritime, mais aussi proposer des solutions pour que leurs navires arrivent au plus proche des zones de production ou de livraison. Les phases de pré et post-acheminement, les plus émissives, impactent notre empreinte carbone. Cette façon d’appréhender est la fois un changement de pratiques et d’usages. »

Après avoir réuni, en 2021, 600 visiteurs et 17 exposants, la seconde édition du rendez-vous dédié au transport maritime à voile, Wind for Goods, qui s’est tenue les 1er et 2 juin à Saint-Nazaire, a rassemblé 800 participants et 50 exposants dont 11 internationaux. Ce que d’aucuns interprètent comme un signe que le vent de la reconnaissance est en train de tourner.

Une filière se structure

En France émerge une armada d’entreprises (Grain de Sail, Towt, Neoline, Beyond the Sea, Vela, Windcoop, Wisamo, Zéphyr & Borée, etc.) qui ont plusieurs navires en commande et d’équipementiers (Ayro, SeaWings, CWS…). Les concepts sont à des niveaux de TRL (maturité technologique) variables, certains encore au stade de prototypes, d’autres aux essais en mer, mais les pionniers sont sur la voie de la commercialisation. Trois usines sont en cours de construction en France, avec Ayro à Caen, CWS à Saint-Nazaire et les Chantiers de l’Atlantique pour son Solid Sail. « On a la chance en France d’avoir une vraie effervescence de projets et des acteurs qui se sont positionnés sur des types de navires, des choix de propulsion véliques quasiment tous différents et ainsi d’avoir un terrain d’expérimentation exceptionnel », se réjouit Louise Chopinet, directrice générale de Windcoop, revendiquée comme la « première compagnie de transport maritime décarboné » en coopérative. Fondée par Matthieu Brunet, président d’Arcadie, et Julien Noé, à l’origine d’Enercoop et de Zéphyr & Borée, elle ambitionne d’opérer son premier porte-conteneur à la voile en 2025 pour transporter des épices et des fruits entre Madagascar et la France.

« Il aura fallu douze ans pour installer 24 ailes depuis la première embarquée en 2010, mais seulement un an pour 24 de plus », lance, implacable, Gavin Allwright, le secrétaire général d’International Windship Association. Si l’accélération est manifeste, le temps est long. « Nous sommes dans des processus de décision longs car, avant de franchir le pas, les armateurs ont besoin de preuves de concept et de réassurance sur certains points. »

Ce n’est pas une mince affaire pour les exploitants de navires, confirme Nelly Grassin, responsable Environnement chez Armateurs de France car « on manque encore de vrais retours sur expérience concernant la robustesse et l’efficacité des équipements. La décarbonation de la flotte marchande suppose des investissements colossaux et on ne peut pas se tromper. » L’assurance sur le risque voudrait donc qu’un certain nombre de navires soient équipés. Mais sans « first users », point d’industrialisation.

De la lumière et des capitaux

Faire la preuve de son efficience et de son opérabilité… Il en va de la crédibilité de cette industrie naissante dont dépendent l’octroi et la sécurisation des financements. « La difficulté est désormais la maturité commerciale », confirme Lise Detrimont. « Après la vallée de la mort, il y a le gouffre de mort commercial dans lequel il faut assurer les premières commandes pour enclencher l’industrialisation des premières séries de façon à réduire le coût de production. » Un passage très délicat car c’est précisément le moment où il y a une usine à construire et un outil de production à mettre en œuvre. « On est sur des demandes capitalistiques très importantes et même un fonds d’investissement à impact hésite à prendre le risque », ajoute-t-elle.

Aiguillons du rendement économique des solutions véliques: les coûts des futurs carburants et le prix donné à la taxe carbone. C’est dans sa capacité à trouver des dispositifs qui vont permettre de dépasser cette phase que la représentation de la jeune filière est attendue. « La régulation est capitale, le portage politique crucial. Au Japon, des aides publiques sont déjà allouées », défend Gavin Allwright. À cet égard, c’est tout un écosystème qui doit avancer en même temps, soutient-il. Il faut des politiques publiques, un cadre réglementaire pour décourager les énergies fossiles et/ou inciter le recours à des carburants verts, des polices d’assurance spécifiques, voire des primes incitatives, des dispositifs de financements adaptés, des référentiels à jour dans la classification…

Le chargeur, un moteur?

Si le vélique n’est pas encore tout à fait une évidence pour les armateurs dits conventionnels, « la décarbonation en est une. Et le vent a toute sa place dans le mix énergétique », nuance Nelly Grassin.

« L’évidence advient pour l’armateur », pointe Jérôme Navarro, le patron de la CMN (groupe Sogestran), « quand cela devient une exigence de votre client et elle l’est quand le destinataire final la réclame. »

C’est Biocoop qui a donné l’impulsion à Windcoop pour la mise sur cale de son porte-conteneurs. C’est l’Association des chargeurs pour un transport maritime décarboné, une organisation cofondée par France Supply Chain et l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), qui a en effet provoqué la commande passée par Zéphyr &Borée d’une première série de cinq porte-conteneurs assistés à la voile. Il reste à souhaiter que la commande résiste à la chute des taux de fret qui creuse l’écart de prix avec l’exploitation à la voile, actuellement plus du double. Suffisant pour faire marche arrière.

L’engagement des chargeurs ne suffit pas toujours. Neoline est un cas d’école. L’entreprise a achoppé sur les derniers millions pour boucler son plan de financement qui aurait dû lui permettre de lancer plus rapidement la construction de son premier roulier propulsé principalement à la voile. La compagnie maritime avait pourtant rapidement rempli toutes les conditions sur un plan technique, industriel et commercial, son offre ayant convaincu des chargeurs de renom parmi lesquels Renault, Bénéteau, Manitou, Clarins, Hennessy, Longchamp, Michelin…

Dans un secteur à haute intensité capitalistique, l’aversion pour les risques – Neoline incarne une rupture dans la propulsion d’un navire –, est aussi tenace que le bon vieux moteur à combustion interne. Si les discours sont au renouveau énergétique, la réalité reste accrochée aux vieux standards.

Propulsion vélique, l’évidence?

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15