Carburants marins, combien de divisions? L’ère des carburants fossiles parvient à son terme, remerciant le bon vieil HFO, le fuel lourd, pour ses bons et loyaux services depuis le milieu du XIXe siècle. Un carburant quasi-exclusif aux qualités inégalables et sans doute inégalées encore pendant un temps. Son contenu énergétique très élevé, qui permet aux navires de parcourir une grande distance en en brûlant peu, n’a pas d’équivalent. Produit résiduel issu du raffinage du pétrole, il a pour inimitable propriété de ne pas coûter cher.
Il est si populaire qu’il représentait encore, jusqu’à la réglementation de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur le plafonnement de la teneur en soufre des carburants en 2020, 86 % des ventes à l’échelle mondiale, d’après la troisième étude réalisée sur les émissions de gaz à effet de serre par cette organisation.
À l’aube d’un nouveau régime énergétique fondé sur des énergies en complète rupture, le concept de carburant unique a fait long feu. Pour comprendre comment les dirigeants du secteur envisageaient les carburants de demain, le Global Center for Maritime Decarbonization, le Global Maritime Forum et le Maersk Mc-Kinney Center for Zero Carbon Shipping, sous la supervision de Mckinsey, ont sondé une trentaine de compagnies maritimes, représentant 20 % de la capacité de la flotte mondiale (navires marchands et passagers), sur leurs programmes pour se mettre au vert.
L’ammoniac vert, le biodiesel et le diesel arrivent en tête de leurs arbitrages pour la propulsion avec 16 à 17 % chacun, devant l’ammoniac bleu, le gaz naturel liquéfié (GNL), l’e-méthanol, le biométhanol, le biométhane et l’e-méthane, qui représentent chacun une part de 6 à 10 %.
Il y a encore un tiers d’entre elles qui ne savent toujours pas à quel(s) type(s) de carburant(s) s’adresser pour leur flotte tant pour l’échéance 2030 que pour celle de 2050. Pour les transporteurs qui se disent fixés, 66 % auront recours pour 2030 au diesel, au biodiesel et au GNL (10 % chacun), le reste étant réparti entre le panel de carburants
Le moteur à combustion interne, technologie encore préférée jusqu’en 2050, n’a pas dit son dernier mot. En outre, tous reconnaissent que la vitesse d’adoption des carburants alternatifs par le secteur dépendra du différentiel de coût avec les combustibles fossiles et du degré de leur disponibilité dans les ports mondiaux. Charge aux décideurs politiques et aux régulateurs de créer des conditions de concurrence équitables entre le gris et le vert.
« Pour parvenir à un avenir sans émissions, l’industrie a besoin d’un cadre réglementaire plus ambitieux avec des objectifs de réduction clairs et des politiques de soutien », explique Johannah Christensen, PDG du FMV. « Plus vite les objectifs et les politiques seront clairs et plus vite ils entreront en vigueur, plus il sera facile pour les entreprises de se faire une idée de la manière d’atteindre les objectifs. » Les cous se tordent vers l’OMI dont il est attendu une réaction: se décider à ne rien décider en campant sur ses objectifs décidés en 2018 (réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’année de référence de 2008) ou à se mettre en ordre de bataille pour viser le zéro émission.
Dans la course de chevaux, pas un seul carburant ne part avec un avantage. « Aucun n’a d’avance sur les autres, et seuls l’hydrogène et l’énergie nucléaire sont à la traîne lorsqu’il s’agit de prédire l’utilisation future des carburants », indique le rapport de synthèse.
Les armateurs attendent que les fournisseurs de combustibles prennent les décisions d’investissement finales (FID) qui s’imposent et commencent les opérations commerciales pour que les coûts puissent s’assagir avec la demande. Les énergéticiens, eux, attendent qu’une demande avérée se concrétisent pour s’engager financièrement. Le fameux dilemme de l’œuf et de la poule.