Les chantiers japonais, qui font encore partie du trio de tête de la construction navale mondiale mais sont largement distancés par les constructeurs sud-coréens et chinois, semblent avoir définitivement laissé à leurs concurrents le tout-venant. Ils regardent ailleurs. Le transport de CO2 liquéfié et l’ammoniac-carburant cristallise leurs centres d’intérêt. Ils sont en force sur la R&D et multiplient les associations industrielles et les projets dans ce sens.
L’un des grands transporteurs du pays du soleil levant, NYK, qui s’est fixé un objectif de neutralité carbone d’ici 2050, entend apporter sa contribution à l’émergence de navires à l’ammoniac et à l’hydrogène. Il est à l’initiative, avec des partenaires industriels, d’un capesize et d’un très grand pétrolier (VLCC) au GNL mais qui pourront être convertis à l’ammoniac, sans surcoût démesuré et sans toucher à l’intégrité du moteur.
Les trois sociétés entendent appliquer le concept (nom de code ARLFV) à plusieurs catégories de navires. « Par rapport à un navire conventionnel alimenté au GNL, l’ARLFV devrait permettre une réduction des coûts de conversion de 12 % pour un vraquier de type capesize et de 25 % pour un VLCC », soutient la direction de NYK.
Avec l’ammoniac, les industriels affrontent un océan de complexités et naviguent à vue car il n’existe pas de directives internationales concernant son utilisation comme combustible marin. Si l’énergie est résolument verte, elle ne se laisse pas facilement dompter. En raison de sa densité énergétique plus faible que celle du GNL, les cuves de carburant devront être plus grandes pour obtenir la même performance. L’espace commercialisable pour le chargement, ainsi que le poids du fret embarqué, s’en trouveront réduits. Des réservoirs plus grands et/ou supplémentaires affecteront la stabilité du navire et la résistance de la coque. L’extrême toxicité de l’ammoniac impose en outre de revoir les systèmes de ventilation pour être dans les clous des conventions internationales et des réglementations nationales.
Depuis le lancement officiel du projet en septembre 2021, les conceptions d’un transporteur de voitures et d’un vraquier post-panamax ont été achevées dans la phase 1. Il s’agit désormais de confronter les simulations de la conception à la réalité froide de la construction navale.
En simultanée, K-Line, un des trois grands acteurs du transport maritime au Japon, a obtenu l’an dernier une AiP de la société de classification ClassNK pour son vraquier de 200 000 tpl à l’ammoniac. Pour ce projet, le transporteur avance en escadrille: Itochu Corp. (partie prenante dans de nombreux projets similaires), Nihon Shipyard, Mitsui E&S Machinery et NS United Kaiun Kaisha et Nippon Kaiji Kyokai pour la construction sont de la partie. Le consortium se donne l’horizon 2026 pour la livraison.
Parallèlement à cette agitation, les projets liés à l’avitaillement en ammoniac se multiplient. Depuis novembre 2021, la société italienne Fratelli Cosulich travaille sur un souteur avec la société de classification italienne Rina et l’entreprise singapourienne d’ingénierie SeaTech Solutions.
De son coté, PaxOcean Engineering, qui exploite des chantiers navals à Singapour, en Chine et en Indonésie, s’est rapproché de l’opérateur singapourien de soutage Hong Lam Marine pour travailler conjointement sur ces microméthaniers, qui seront classés par Bureau Veritas. MOL, Itochu et Sembcorp ont également reçu une AiP de l’américaine ABS pour le leur et d’autres sont en cours en Corée du Sud.
Si les Japonais sont à la manœuvre, les chantiers coréens n’entendent pas laisser le champ libre à leurs voisins. Maîtres absolus de la technologie des méthaniers bien que chatouillés par les constructeurs chinois désormais friands de navires sophistiqués, les Sud-coréens ont aussi multiplié ces derniers temps des concepts de navires à l’ammoniac. La société de classification Lloyd’s Register (LR) a ainsi accordé à l’(ex-)DSME une AiP pour un VLCC de 300 000 tpl. Elle travaille aussi avec Samsung Heavy Industries (SHI) sur celui qui sera sans doute le premier transporteur de brut propulsé à l’ammoniac. Il doit être livré en 2025 à la compagnie malaise MISC. Pour ne pas être en reste, Hyundai Heavy Industries (HHI), le premier des grands de la construction navale du pays, a également dévoilé des projets similaires.
« Le paysage des carburants est très incertain. Le navire doit donc être conçu et construit de sorte qu’il soit compatible avec plusieurs types de carburants », conclut un dirigeant de DNV.
L’époque du carburant unique, simple et standardisé, est bien révolue.