La course à l’échalote à laquelle se livrent Maersk et CMA CGM dans la constitution de leur flotte au méthanol ferait presque oublier qu’il revient au Suédois Stena d’avoir ouvert la voie à ce carburant classé parmi les plus prometteurs dans le cadre d’un avenir neutre en carbone.
Stena, l’un des plus grands armateurs européens de ferries, a converti dès 2015 son ferry Stena Germanic, un ro-pax construit en 2001 de 51 800 tpl. Le projet à plus de 20 M€, mené avec le motoriste Wärtsilä et Methanex Corp., aura été en partie financé par des subventions dans le cadre européen des autoroutes de la mer. Il s’agissait alors de se conformer pour le passage en Manche-mer du Nord à un carburant dont le taux de soufre ne devrait pas excéder 0,1 %.
Plus récemment, le Suédois a franchi un autre cap en s’associant à la société suisse Proman, l’un des principaux producteurs de méthanol et d’ammoniac, pour créer la coentreprise Proman Stena Bulk, qui a déjà quatre de ses six navires d’une capacité de 54 000 m3 et prêts chacun à transporter du méthanol. Les deux autres devraient être achevés fin 2023 ou début 2024.
Les chimiquiers naviguent actuellement depuis les hubs de méthanol de Proman à Trinidad, au Texas et à Oman vers l’Asie et l’Europe. « Quoi de mieux qu’un armateur possédant notre expérience pour coopérer avec un producteur de méthanol? C’est très sensé d’un point de vue économique », avait justifié Erik Hånell, PDG de Stena Bulk.
Proman construit actuellement une usine de biométhanol au Canada, qui devrait entrer en service en 2025. D’une capacité de production annuelle de 100 000 t de méthanol issu de biodéchets, elle sera reliée à un electrolyseur d’une puissance de 87 MW « afin d’utiliser au mieux l’énergie hydraulique locale et d’optimiser la production », expliquent les services de l’entreprise.
« Le méthanol présente un avantage majeur par rapport aux autres carburants conformes à l’OMI 2050: il est compatible avec l’infrastructure dont nous disposons aujourd’hui », soutient la société de classification norvégienne DNV. « Le méthanol en tant que carburant marin attire l’attention en raison de la technologie relativement mature et facile à adapter. En outre, pour rester conforme aux limites de plus en plus strictes des émissions de carbone, un navire fonctionnant au méthanol pourra mélanger avec du méthanol bleu ou vert, sans nécessiter de modifications techniques », ajoute Christos Chryssakis, directeur du développement commercial chez DNV. Proman envisage également de mélanger du méthanol provenant de diverses sources grises, bleues et vertes.
La société a classé le premier pétrolier au monde « prêt pour le méthanol » en 2016 et 18 des 24 navires que compte actuellement la flotte mondiale sont classés DNV.
L’investissement en capital relativement faible rend aussi l’alternative a fortiori intéressante. « Le coût de construction d’un navire est moins élevé, la conception est plus simple et le carburant est plus facile à manipuler que le GNL, l’ammoniac ou l’hydrogène, par exemple », résume-t-il.
Le méthanol marin apparaît quoi qu’il en soit comme une des options les plus populaires pour tendre vers un objectif de neutralité carbone. Encore faut-il qu’il soit vert, ce qu’il n’est pas aujourd’hui puisqu’il a toujours pour source le gaz naturel (méthanol gris). Selon l’Institut du méthanol, les installations les plus efficientes produisent aujourd’hui du méthanol avec une empreinte carbone de l’ordre de 110 g CO2 eq/MJ. En revanche, quand la source est renouvelable, comme c’est le cas pour le biométhane, la biomasse ou une énergie renouvelable (hydrogène + CO2 biogénique), l’empreinte carbone est faible, la plupart de ces filières atteignent 10-40 g CO2 eq/MJ, et certaines ont même des émissions négatives. En prenant en compte les émissions en « well-to-propeller » (littéralement, du puits au propulseur), le bio-méthanol et l’e-méthanol (renouvelables donc) figurent parmi les carburants maritimes les moins polluants. La disponibilité des matières premières, en quantités suffisantes et à un prix raisonnable sur le lieu de production, constitue cependant le principal frein à la production de méthanol vert à grande échelle.