Cargill, Trafigura: des chargeurs et affréteurs militants?

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Le grand négociant américain de matières premières agricoles Cargill et la société d’affrètement maritime spécialisée dans le courtage et le transport des matières premières Trafigura affichent une même volonté. À grands renforts de communication, ils clament leur préoccupation quant à l’empreinte carbone de leur transport. Et déploient beaucoup d’énergie pour que l’OMI change de braquet.

Pas l’ombre d’une mention. Il y a encore deux ans, dans les appels d’offre des grands chargeurs, l’empreinte carbone ne méritait pas un égard, ne soulevait pas même une question. Ils seraient désormais de plus en plus nombreux à inclure des clauses. C’est ce que suggèrent les divers sondages effectués par les organisations professionnelles. Les émissions générées par l’acheminement de leurs marchandises ne priment néanmoins toujours pas sur le critère prix.

Cargill, grand négociant du Minnesota en matières premières agricoles, est un des tout premiers signataires d’une charte initiée par l’association de chargeurs et affréteurs de navires, Sea Cargo Charter, par laquelle ses membres s’engagent à intégrer dans leur politique d’achat de transport des critères environnementaux et à publier les émissions annuelles des navires qu’ils affrètent. Jan Dieleman, le CEO de Cargill Ocean Transportation, est aussi le président de cette organisation lancée en octobre 2020 et portée sur les fonts baptismaux par dix-sept chargeurs. Si la Sea Cargo Charter s’est alignée sur les objectifs de l’OMI, pourtant jugés peu ambitieux, ses membres n’en ont pas moins créé leur propre système de déclaration des émissions de gaz à effet de serre (GES), hors cadre institutionnel et sans concertation avec les principaux concernés: les armateurs.

La société de trading a pour sa part annoncé la commande d’un troisième vraquier kamsarmax neuf de 81 200 tpl propulsé par des moteurs à double carburant avec du méthanol vert et du biodiesel. Ils s’ajoutent aux deux premiers contractés en janvier dans le cadre de son accord d’affrètement avec le transporteur danois J. Lauritzen. La commande a été confiée au constructeur japonais Tsuneishi Shipbuilding (chantier des deux premières unités), avec livraison au second semestre 2026.

Prime à l’entrant?

Cargill est le premier entrant sur le marché du vraquier au méthanol. Le surcoût du navire, estimé à 15 % par rapport aux carburants conventionnels, n’est pas neutre pour ce marché dicté par le prix. Selon les analystes, la théorie de la prime à l’entrant sera validée si les navires sont déployés sur des routes tarifées (comme celles entrant dans le cadre du système européen d’échange de quotas d’émission) et/ou si les clients sont prêts à payer un peu plus en échange d’un certificat vert. La société s’intéresse également à la propulsion éolienne alors que des premiers navires équipés devraient entrer en service cette année. Cargill devrait aussi aller de l’avant dans l’usage de biocarburants, ayant acheté plus de 30 000 t au cours des deux dernières années avec pour objectif d’atteindre 50 000 t cette année. Entre 2017 et la fin de 2022, l’Américaine déclare avoir réduit de près de 1,5 Mt les émissions brutes de carbone de sa flotte.

Des opportunités pour les pays du Sud

Trafigura, société de courtage et de transport de matières premières, veut aussi apparaître comme un chargeur militant et engagé. Dans un livre blanc publié récemment, l’entreprise fait valoir que l’incitation à des carburants marins sans carbone permettrait non seulement d’atteindre les objectifs en matière d’émissions, mais aussi de créer de nouvelles opportunités économiques dans les pays du Sud de par leur accès à l’énergie solaire et éolienne ainsi qu’à « des terres en abondance ».

Selon l’analyse de Trafigura, l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique ont le potentiel pour produire d’abondantes quantités d’électro-carburants. L’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, l’Égypte, l’Inde et le Maroc sont particulièrement bien placés pour fabriquer l’hydrogène vert, l’élément de base de l’économie des biocarburants.

Dans certains sites du Sud, les énergies éolienne et solaire à forte puissance pourraient produire des e-carburants à un coût de l’ordre de 750 $ par tonne, selon les estimations des auteurs, alors qu’il en coûterait de 1 200 à 1 500 $/t en Europe.

L’Afrique subsaharienne pourrait être la grande gagnante de la transition énergétique. Son potentiel de production de carburants verts, dans la fourchette haute, est égal à celui de l’Australie, du Moyen-Orient et de l’Amérique du Sud réunis. Ensemble, leur capacité en énergie renouvelable pourrait alimenter cent fois le transport maritime.

Une taxe de 300 $?

Mais même les biocarburants les moins chers en provenance des marchés les plus rentables resteront deux fois plus chers que le fuel à faible teneur en soufre (VLSFO). « Sans taxer les combustibles de soute et utiliser les recettes pour subventionner les carburants verts, il ne sera pas possible de parvenir à une production à grande échelle », soutient l’entreprise qui milite depuis des années pour l’introduction d’une taxe mondiale et, ainsi, pour des mesures autres que les ajustements périphériques des règles actuellement envisagés à l’OMI.

Le négociant, dont le siège est basé à Singapour, haut lieu du soutage de fuel, a demandé pour la première fois l’instauration d’une taxe en 2020, en suggérant un prix du carbone de l’ordre de 250 à 300 $ par tonne CO2 émis (environ 750 à 900 $ par combustible de soute). C’est l’une des propositions les plus exigeantes à ce jour et elle ferait plus que doubler le prix actuel des carburants de soute conventionnels.

Aujourd’hui, il presse le pas surtout si le secteur doit atteindre un objectif de 5 % de carburants verts d’ici 2030, comme il est envisagé. L’objectif est jugé réaliste si l’OMI change de braquet, suggère Rasmus Bach Nielsen, responsable de transition énergétique des carburants chez Trafigura.

« Il n’y a pas de problème de technologies. L’offre potentielle existe. Le financement est disponible. En revanche, il manque un consensus sur la tarification du carbone », ajoute Margaux Moore, responsable de la recherche sur la transition énergétique chez Trafigura.

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