Que propose la filière française pour se décarboner?

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Assignés aux niveaux européen, international et national, à apporter leur écot à l’agenda climatique, les acteurs de la filière maritime et portuaire française ont rendu dernièrement leur contribution. Leviers, freins, limites, actions, axes d’évolution des politiques publiques, tout y est ou presque.

En mai, la filière maritime française a remis au gouvernement sa feuille de route climatique, conformémement à ce qui lui était demandé. Dans le cadre de la révision de la stratégie nationale bas carbone, chaque filière est tenue de recenser les leviers de décarbonation qu’elle privilégie, les actions qu’elle entend mettre en œuvre et de formuler des axes d’évolution des politiques publiques. Ces travaux, conduits en application de la Loi climat et résilience, sont censés nourrir les orientations d’une planification économique (répartition des objectifs de baisse des émissions entre secteurs, plans de financement, arbitrages intersectoriels pour les ressources rares, etc.).

Les propositions du secteur maritime et portuaire résultent d’un travail collectif (armateurs, énergéticiens, ports, chantiers navals et nautiques, équipementiers, architectes et bureaux d’étude, etc.), piloté par la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAmpa) et le Cluster maritime français (CMF).

L’ensemble des leviers, freins et avantages ont été identifiés pour un ensemble d’options, sachant que pour tendre vers les objectifs assignés et par l’OMI et par l’Union européenne, un grand principe ne fait plus débat: le mix énergétique sera la règle d’airain pour l’ensemble de la flotte mondiale. Point de série non plus à l’échelle industrielle dans la construction de navires, notamment parce que chaque navire nécessite « des études spécifiques pour en améliorer le design et l’efficacité énergétique globale », indique le document.

Quels enjeux sous-tendent la transition énergétique du pavillon français?

Dans un contexte post-crise sanitaire, d’instabilité géopolitique et de tensions sur les besoins énergétiques, la transition des modes d’énergie offre l’opportunité, selon les acteurs de la filière, de « relocaliser la production énergétique sur le territoire » et de « renforcer l’attractivité des ports par une offre d’avitaillement en énergies bas carbone et renouvelables », alors que quatre navires sur cinq remplissent leurs soutes dans un pays étranger. Le pavillon français se trouve donc aussi tributaire des choix opérés par ces pays (par exemple, réserver les énergies à d’autres usages).

Or, « avec près 85 % des importations en volume qui arrivent par la mer au niveau européen, l’approvisionnement est fortement dépendant de la capacité des entreprises maritimes nationales à assurer le transport de marchandises, de biens et de personnes. Cela est en particulier valable pour les approvisionnements stratégiques de la métropole et de l’outre-Mer tels que les besoins énergétiques, alimentaires, en matières premières et en biens manufacturés », font-ils valoir.

Cette souveraineté passe par un accès à des énergies décarbonées dans des conditions économiques viables, défendent-ils. « Si les ports français ne sont pas en mesure de fournir des carburants durables, le recours aux énergies fossiles, fortement taxées et donc coûteuses dans un avenir proche, seront à envisager, avec un risque de perte de compétitivité par rapport aux pays ayant sécurisé leurs approvisionnements ».

Aussi, autre grand enjeu, le report modal avec sa capacité à influencer le cours des émissions si un couplage énergétique avec le rail puis le camion sur les derniers kilomètres est efficace.

Quelles sont les marges de manœuvre de la filière?

La feuille de route décrit de façon détaillée et technique douze principaux leviers avec des mesures d’efficacité énergétique (technologique, opérationnelle et écoconception), de sobriété (ralentissement des navires) et des énergies moins carbonées (notamment les biocarburants, les e-carburants et la propulsion vélique). Chaque option est assortie d’une analyse « forces et faiblesses », la liste des freins étant souvent plus longue.

Quel est le scénario de décarbonation idéal?

La filière, qui s’est appuyée sur l’outil de modélisation développé par l’Institut MEET2050, a comparé une dizaine de scénarios de décarbonation et retenu un de référence. Il combine des mesures technologiques et opérationnelles, le recours à la limitation de la vitesse, à des carburants moins carbonés et au vélique. Dans ce schéma, les biocarburants assurent une transition entre l’énergie fossile et les e-carburants qui émergent à partir de 2030 pour représenter un peu moins de 70 % des volumes en 2050. Le GNL fossile est substitué progressivement par du bio-GNL puis du e-GNL, avec un développement plus tardif du méthanol compte tenu de l’absence d’infrastructures et de navires compatibles à ce stade. L’électrification des navires reste limitée à moins de 10 %, compte tenu des contraintes inhérentes pour les grands navires.

Quel est le besoin estimé en énergies?

La disponibilité des énergies pour la décarbonation reste le nerf de la guerre. Le document met en évidence un besoin significatif de biocarburants (autour de 15 TWh en 2035) puis de e-carburants (30 TWh en 2050). Avec l’électrification et l’hybridation électrique de certains navires, l’électrification des quais (pour limiter les émissions lors des escales) et la production de carburants décarbonés, les besoins en électricité amont sont estimés à 5 TWh en 2030 et à 90 TWh en 2050, soit l’équivalent de 50 parcs éoliens de la taille de celui de Saint-Nazaire.

En quoi consiste le plan d’actions?

Il est impossible de lister les 34 actions réparties dans sept axes transversaux, qui relèvent à la fois du développement des navires zéro émission, de la production, stockage, transport et distribution d’énergies décarbonées, de la décarbonation des ports…

Le point le plus critique reste sans doute les modalités de financement. Alors que le transport maritime s’apprête à entrer dans le marché carbone européen, et sera probablement soumis au niveau mondial à une taxe carbone, les organisations professionnelles seront, à n’en pas douter, vigilantes sur la redistribution des recettes générées par ce nouvel « impôt ».

Le coût de l’action

Le coût des actions listées par les acteurs français du shipping a été estimé à 7,2 Md€ sur cinq ans, intégrant les investissements publics et privés. La réalisation du navire zéro émission (2 Md€ sur 5 ans) et le développement d’une filière de production de e-carburants marins pèsent lourd dans le budget. Une usine de e-méthanol ou de e-méthane nécessite par exemple un investissement de 2 Md€ pour une production de 1 TWh/an. Or, la quantité de e-carburants est estimée en 2030 à 3,4 TWh et elle correspond à la production de près de 600 000 t de méthanol ou 250 000 t de e-méthane. Une unité de biocarburants liquides peut coûter 1,5 Md€ pour une production de 200 000 t par an. Or, le besoin est évalué à 8,6 TWh en 2030 avec un pic du besoin à 16 TWh en 2037.

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