Les éoliennes en mer deviennent peu à peu réalité au large de littoral français. Le premier parc mis en exploitation, celui de Saint-Nazaire, a été relié au réseau électrique au cours du dernier trimestre 2022. Deux autres projets, ceux de Saint-Brieuc et de Fécamp, devraient être mis en service d’ici la fin de l’année. Mais le suivant va prendre du retard.
Installé au large de Courseulles-sur-Mer, le parc du Calvados a inauguré sa base d’exploitation et de maintenance en avril. Mais sa construction elle-même a pris du retard. Prévue pour fin 2024, la mise en service des éoliennes n’aura finalement lieu que fin 2025, avec neuf mois de retard. En cause: la disponibilité des jack-up, ces autoélévateurs qui ont la particularité de se hisser sur leurs jambes plantées dans le fond marin pour se transformer en plateformes. Ainsi stabilisés, ils peuvent déployer les grues qui mettent en place les éoliennes.
En 2020, le cabinet norvégien de conseil en énergie Rystad recensait 32 navires de ce type et prévoyait une pénurie pour 2025. Il semblerait qu’elle soit plus précoce. Quoi qu’il en soit, la France, qui n’a aucun de ces navires sous son pavillon, a eu recours au Vol au vent de la société luxembourgeoise d’origine flamande Jan De Nul pour assurer l’installation des éoliennes à Saint-Nazaire. Construit en 2013, le navire de 140 m et 8 000 tpl peut se hisser à 90 m au dessus du fond marin et sa grue peut lever 1 500 t à 21,5 m du bord et jusqu’à 115 m de hauteur.
À Saint-Brieuc, les fondations des éoliennes ont été posées par l’Aeolus, jackup de 139 m construit en 2014 et d’une capacité de levage de 1 600 t à 32 m. Le navire a ensuite regagné, en décembre 2022, le chantier Damen de Rotterdam pour effectuer les aménagements requis pour qu’il puisse poser la future génération d’éoliennes de 12 à 15 MW. Il devrait terminer, auparavant, les fondations au large des Côtes-d’Armor. Les 62 éoliennes de 8 MW sont actuellement en cours d’installation par le Brave Tern, une unité de 132 m (2012) de la société norvégienne Fred Olsen.
Pour le champ de Fécamp, c’est le Sleipnir, du néerlandais Heerema Marine Contractors, qui est à la manœuvre sur les supports des éoliennes. Il s’agit cette fois d’un navire semi-submersible de 220 m de long par 102 m de large avec deux grues de 10 000 t de charge, le record actuel de la capacité de levage. Pour Courseulles, la sous-station électrique a eu recours au Sea Installer de la société belge Deme.
En Europe, 3 à 4 GW d’éolien offshore sont posés chaque année. La Commission européenne a planifié une capacité totale de 300 GW en 2050. Il faudra donc, d’ici là, démultiplier les installations et les équipements, à commencer par des navires de pose en plus grand nombre. Or ces navires sont très chers et très longs à construire.
« Sur cette ambition européenne de 300 GW d’éolien offshore, au moins un tiers sera constitué d’éolien flottant », rappelle Étienne Pourcher, coordinateur de l’Observatoire des énergies de la mer. « Leur installation, par rapport à l’éolien posé, fait appel à d’autres types de navires, tout aussi spécifiques. Il y a là un enjeu d’innovation pour l’ancrage à grande profondeur et le raccordement des câbles. Il ne faut d’ailleurs pas uniquement raisonner en termes de nombre de navires, mais en capacité d’installation: veut-on installer chaque année 12 GW ou seulement 8 GW? Quelle taille feront les turbines? »
La taille des turbines questionne également. Les navires d’installation actuels, adaptés aux turbines de 8 à 9 MW, ne le seront pas forcément pour la prochaine génération qui vise les 15 à 20 MW. L’enjeu est donc aussi, au-delà du nombre, de disposer d’une flotte équipée de grues plus grandes. Quant à la maintenance des parcs, elle nécessite aussi des navires spécialisés et différents de ceux utilisés pour l’installation.
« Il faudra bientôt les construire en série », estime Étienne Pourcher, qui fait les comptes: « Si la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit la pose au large des côtes françaises de 2 à 3 GW par an, il faudra construire cinq à quinze navires de maintenance par an. Il y a donc un enjeu de programmation, pour que les armateurs anticipent et fassent construire des navires de pose qui peuvent atteindre 300 M€ l’unité et des navires d’entretien, moins chers mais plus nombreux. Pour prévoir ces investissements, il faut une planification précise, façade par façade, afin de connaître les besoins en navire de chaque type et les installations portuaires qui vont avec. Les ports aussi cherchent à anticiper. Ils ont déjà investi pour les besoins de l’éolien posé et veulent à présent savoir ce qu’il en sera de l’éolien flottant: quels types de flotteurs? De turbines? Quelle taille? De tous ces paramètres vont dépendre les installations portuaires nécessaires, pas seulement pour la mise à l’eau des flotteurs et turbines, mais aussi pour leur assemblage. »
Plusieurs opérateurs sont dans l’attente de la livraison de nouvelles autoélévatrices. Jan de Nul, dont le Vol au Vent a installé les éoliennes de Saint-Nazaire, fait actuellement construire un autre jackup, le Voltaire, d’une taille supérieure: 180 m de long, 21 500 tpl et doté d’une grue capable de soulever 3 200 t à 162 m de haut et 250 t à 135 m du bord.
La compagnie danoise Cadeler, qui exploite déjà deux jack-up très actifs en mer du Nord, les Wind Osprey et Wind Orca, va les armer fin 2023 de nouvelles grues afin de pouvoir soulever 1 600 t à 40 m du bord et 160 m de haut. Fin 2024 et début 2025, Cadeler va prendre livraison de deux autres navires équipés pour transporter et installer sept turbines de 15 MW ou cinq turbines de 20 MW grâce à leurs grues de plus de 2 000 t de charge.
Suivra, en 2026, la livraison de deux nouvelles plateformes spécifiques à l’installation des fondations pour l’éolien offshore, ce qui devrait placer la compagnie danoise à la tête de la flotte la plus importante en la matière.