Frédéric Meyer: Nous avons en effet deux souteurs qui fournissent du GNL à CMA CGM et MSC. Le Gas Agility, basé à Rotterdam, a démarré ses activités fin 2020 tandis que le Gas Vitality, localisé à Marseille, a opéré son premier avitaillement en 2022 avec CMA CGM. Nous avons effectué à ce jour quelque 140 opérations, ce qui représente un retour sur expérience suffisamment important pour garantir un approvisionnement récurrent et sécure. Nous avons encore de la capacité disponible. Nous répondons d’ailleurs à des demandes spot que nous voyons émerger depuis six mois.
F.M.: Nous avons besoin de contrats long terme, en miroir avec nos engagements dans des assets qui sont eux-mêmes assis sur des chartes parties de longue durée. Il n’y a pas vraiment d’explication. Soit il s’agit d’acteurs nouveaux dans une posture d’attente avant de pouvoir confirmer des engagements à long terme. Soit ils souhaitent tester le marché sur des petites quantités. La conjoncture n’y est sans doute pas étrangère. L’année 2022 n’a pas aidé notre marché, handicapé par les prix du gaz. On a vraiment ressenti un tassement des demandes sur le GNL. Néanmoins, le prix du gaz est revenu à son niveau normal et on voit maintenant émerger ce type de demande.
F.M.: Non, nous avions bon espoir qu’il soit confirmé. Le GNL reste, devant toutes les autres solutions, celle qui est la plus disponible aujourd’hui et certainement aussi la plus économique pour opérer une transition douce du fait qu’il ne génère aucune modification de structure. Le moteur en l’état permet d’accommoder aussi bien du méthane d’origine fossile que du biométhane ou du méthane synthétique.
F.M.: Il est difficile d’être très précis dans un environnement en pleine évolution. Je n’emploierai pas le terme d’imperfection car le GNL permet à ce stade d’abattre jusqu’à 23 % des émissions carbone. En l’état des réglementations, tant du côté de l’UE que de l’OMI, il est dans les clous des normes jusqu’à 2035 et, pour certains navires de dernière génération, il restera conforme au-delà. La performance du GNL est aussi liée à l’évolution des technologies des moteurs et plus précisément aux travaux avancés pour contenir et réduire ce qu’on appelle les émissions fugitives de méthane.
F.M.: Ils seront un relais au GNL au-delà des échéances réglementaires de 2035. À ce niveau, on ne peut que se baser sur la feuille de route climatique européenne car la trajectoire est lisible. Au niveau international, la visibilité est encore limitée à l’horizon 2025-2030 avec les objectifs assignés par la norme CII sur l’intensité carbone.
On sait que nos clients vont devoir incorporer graduellement du méthane, soit issu de la biomasse, soit d’origine synthétique. Les pourcentages vont varier selon le design du navire, le moteur, les routes… On estime que cette part pourrait atteindre 10 % d’ici 2040-50 et 15 % au-delà. On ne sera jamais, quoi qu’il en soit, dans les unités de grandeur du carburant dit conventionnel.
F.M.: Le biométhane s’affranchit de la voie de l’électrolyse puisqu’il s’appuie uniquement sur la biomasse, qu’elle soit issue de résidus, de déchets ou de la méthanation classique. Du biométhane, il va y en avoir et beaucoup, notamment en Europe, qui a autorisé le dispositif des certificats de garantie d’origine. Nous avons effectué des opérations à bord sur certaines livraisons de biométhane grâce à ce système qui permet de pallier les problèmes d’accès aux énergies en connectant des productions qui ne sont pas nécessairement proches des ports. Sur l’e-méthane, d’origine renouvelable donc, il sera confronté aux mêmes défis et contraintes que l’e-méthanol, l’e-ammoniac ou l’e-hydrogène: produire de l’hydrogène à partir d’électricité renouvelable. On y travaille et on a annoncé, il y a quelques semaines, un projet consistant à implanter une unité production de e-méthane aux États-Unis. Les technologies sont matures mais il faut les maritimiser. Il y aura du e-méthane sans aucun doute dans tous les grands hubs internationaux, mais il n’y en aura pas partout. On sait que tous les projets à base d’hydrogène vert seront développés en priorité dans des géographies où il y a un accès à du renouvelable plutôt bon marché et à du CO2 biogénique. Des études de screening sont en cours chez nous pour identifier les meilleures géographies.
F.M.: On a fait beaucoup de tests en amont sur nos bancs marins pour mesurer les émissions et ensuite à bord pour accompagner les clients dans leur apprentissage. Il en ressort qu’il n’y a pas de freins techniques à l’usage. Et l’OMI a envoyé un signal favorable pour une utilisation jusqu’à 30 %.
L’accès à la biomasse est une problématique qui n’est pas propre au seul transport maritime. Il va y avoir effectivement une sélectivité de la ressource en fonction de l’usage. À quelques nuances près. Celle utilisée pour les carburants routiers est celle qu’on emploie aussi pour les navires. Mais à moyen ou long terme, il pourrait y avoir des biomasses de différentes natures pour le maritime parce que nous n’avons pas besoin de carburants aussi élaborés que pour le routier ou l’aérien. Mais là encore, cette offre ne pourra être disponible que dans les ports à proximité de la ressource.
F.M.: On travaille sur le méthanol depuis à peu près un an. Nous avons conclu récemment un protocole d’accord avec Green Marine Bunkering sur la faisabilité de la mise en place d’une chaîne d’approvisionnement viable pour le méthanol à Singapour. Actuellement, TotalEnergies est un petit acteur. Il en produit environ 700 000 t par an en Allemagne dans la raffinerie de Leuna.
On a mobilisé en interne des équipes sur le sujet. On sera au rendez-vous du méthanol bas carbone en tant qu’offre complémentaire au GNL et aux biocarburants. Et on se positionne pour être un des acteurs majeurs du méthanol vert dans nos projections à long terme.
F.M.: Seuls les grands ports seront vraiment multicombustibles mais peut-être pas pour autant en couvrant toute la palette des nouveaux carburants durables. Les ports secondaires n’auront d’autres choix que de se spécialiser. Et il y aura un développement à plusieurs vitesses avec des échelles de temps différentes. Tous les carburants alternatifs ne seront pas disponibles en même temps. La densité énergétique plus faible de certains d’entre eux est un autre paramètre. Du fait d’une moindre autonomie, il faudra peut-être envisager des soutages intermédiaires. C’est un schéma qui n’existe pas aujourd’hui. L’infrastructure devrait s’accommoder assez rapidement de l’organisation de la ligne régulière, par nature cadencée. C’est moins vrai pour le tramping qui, par définition, est un transport à la demande. Le navire ne connaît pas à l’avance le lieu de chargement et de déchargement de sa cargaison. Les exploitants vont devoir arbitrer en permanence le carburant le plus approprié en fonction d’un tas de paramètres.
F.M.: Au niveau européen, nous avons été entendus dans le cadre de l’élaboration du FuelEU Maritime [volet maritime de la politique climatique de l’Europe relatif en partie aux carburants]. Nous sommes plutôt favorables à des mesures qui incitent à l’introduction des carburants durables dans le maritime, au même titre que cela a été fait pour le routier et l’aviation. Nous partons du principe que ces mécanismes d’incitation permettent de déclencher des décisions d’investissement et d’accompagner la décarbonation de façon un peu plus réglementée qu’elle ne l’a été jusqu’à présent. Il faut le souligner – car c’est exemplaire –, l’industrie maritime a amorcé le mouvement sur une base volontaire. Dorénavant, on entre dans une phase plus normée que d’autres secteurs ont connue, à savoir sous la contrainte réglementaire.
Retrouvez l’intégralité de cet entretien sur: journaldelamarinemarchande.com
Avec l’explosion du prix du gaz, certains armateurs ont rebasculé sur le fuel. Mais pour Frédéric Meyer, cette solution est une assurance pour toute l’industrie. « Il permet aux armateurs d’ajuster en fonction des prix, de leurs besoins réels en carburants durables, des disponibilités dans les ports… Il offre une flexibilité finalement à faible coût puisqu’ils peuvent naviguer, sans mauvais jeu de mot, d’un carburant à l’autre, voire revenir à du carburant dit conventionnel mais associé à des biocarburants. Les moteurs sont plus flexibles et autorisent désormais des options qui n’étaient pas envisageables avec des moteurs mono-fuel ».
Le fuel à faible teneur en soufre et le diesel figurent parmi les carburants dits classiques mais encore autorisés pendant un temps par les réglementations. Le fuel lourd (HFO) – que TotalEnergies a cessé de fournir en 2020, date de la norme OMI sur la teneur en soufre des combustible de soute –, n’est pas proscrit si les cheminées des moteurs sont équipés de scrubbers, des pots catalytiques géants très controversés. Pour Frédéric Meyer, ces deux carburants sont verdis quand ils sont mélangés à des biocarburants. « Tous les tests sur la flotte existante en attestent: le profil d’émission est grandement amélioré. Aujourd’hui, il y des normes plafonds, de 24 % à Singapour, entre 20 et 30 % en Europe, mais on pourrait aller au-delà. Des essais ont même été effectués en Amérique du Nord avec 100 % de biofuel. La limite technique est celle des moteurs: sont-ils en mesure de brûler du 100 %? Nous avons les moyens de le valider techniquement. »
Selon Sea/LNG, l’offre de GNL est disponible 96 ports tandis que 55 sont en cours d’investissement. « Le supply est amplement suffisant. En revanche, la pénurie de navires souteurs est un point d’attention. Selon nos projections et sur la base des navires livrés et en commande, il pourrait en manquer une trentaine », répond Frédéric Meyer.