« Le paquebot de notre décennie consomme deux fois moins que son grand frère d’il y a 20 ans »

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La mairie de Marseille, sous la mandature de Benoît Payan et de sa coalition divers gauche, ne mâche pas ses mots à l’encontre des « géants de la croisière ». Il y a un an, l’élu lançait une pétition pour faire interdire les escales des navires dits polluants lors des pics de pollution. Vos relations se sont-elles pacifiées?

Jean-François Suhas: Les contre-vérités n’ont jamais fait avancer les débats. On se heurte à une équipe municipale qui adresse des sujets sur lesquels elle n’a ni la compétence juridique ou administrative et encore moins un début de la connaissance technique nécessaire pour les appréhender. Nous n’avons jamais cherché à occulter ou nier les problématiques liées à l’activité portuaire qui, dans le cas de la croisière, se double d’une question touristique. Nous ne validons pas pour autant toutes les études qui nous sont avancées, dont certaines basées sur des calculs théoriques biaisés, mettant par exemple en exergue des pics de pollution les jours où il n’y a pas d’escales de paquebots. À Bordeaux ou en Corse, des études scientifiques, portées par des collectivités locales, n’ont pas trouvé de traces probantes de pollution en centre-ville liées à la croisière. Sur ce modèle – en attendant l’étude portée par le pôle Mer pour le Grand port maritime de Marseille Fos –, l’observatoire régional de la qualité de l’air Atmosud, dans le cadre du projet européen Scipper [dont l’objectif était d’éprouver les différentes techniques de surveillance des émissions du transport maritime à Marseille, Göteborg, Hambourg et en Manche, NDLR], a présenté des résultats intéressants sur la propagation des polluants atmosphériques issus des trafics maritimes. La science doit primer sur une intuition ou un sentiment…

La Ville considère le club de la croisière comme un lobby à la solde de l’industrie du secteur. Difficile dans ces conditions d’être crédible, non?

J-F.S.: Le Club de la croisière, dont les armateurs ne sont pas membres et dont les fonds proviennent à plus de 65 % des collectivités, s’efforce depuis dix ans de trouver des solutions. On est parfois au seuil du syndrome de Dunning-Kruger [distorsion de la réalité, NDLR] quand on entend la Ville s’attribuer, par exemple, des avancées sur l’obtention d’une zone de contrôle des émissions en Méditerranée, un sujet sur lequel d’autres planchent depuis sept ans, notamment le gouvernement français avec les opérateurs [le principe d’une Eca en 2025 a été acté par l’OMI en juin 2022. La Méditerranée bénéficiera alors de la même protection que la Baltique, la Manche et la mer du Nord, où depuis 2015, les moteurs neufs doivent être Tier III et ne peuvent pas être alimentés par un carburant contenant plus de 0,1 % de soufre, NDLR]. Le club de la croisière est un acteur du territoire en charge des questions qui dépassent le rôle de chacune des entités composant l’écosystème. Notre rôle est de trouver le chemin entre les divers intérêts. Quand on a la chance d’avoir des touristes, on essaie de ne pas trop les mordre. Quand une activité génère une économie directe et indirecte, bâtie laborieusement pendant des décennies, le but n’est pas d’y mettre un terme brutalement au nom d’intérêts politiques.

Selon vous, qu’est ce qui est vraiment reproché aux paquebots, leurs émissions ou les passagers qui « submergent » la ville?

J.F. S.: On nous parle de surtourisme alors que les escales les plus importantes à Marseille génèrent tout au plus entre 3 000 et 4 000 personnes, étalées sur la journée. Les ailes de saison se résument à deux mois au printemps, en avril et mai, puis en arrière-saison, à septembre et octobre avec parfois un prolongement en novembre. C’est la concentration au même moment, les samedi et dimanche, qui est problématique. Nous avons créé un PC pour réguler la circulation avec, par exemple, l’encadrement du nombre de bus par heure et par opérateur. Nous militons activement en faveur d’une navette maritime, combinée à d’autres mobilités douces. Tant que nous n’avons pas les infrastructures de transport telles que programmées par le plan « Marseille en Grand » porté par l’État [5 Md€ pour pallier le retard d’aménagement, NDLR], il faut être inventif, y compris dans la régulation ou la réglementation.

Vous avez dit à plusieurs reprises que les limites de la croisière existent dans les faits. Il n’est plus question de stratégie expansionniste.

J.F. S.: Il n’en a jamais été question. Il y a pu avoir autrefois un délire d’infrastructure mais éphémère et vite canalisé. Le terminal croisière est équipé de quatre à cinq postes à quai selon la taille des paquebots, c’est-à-dire que nous pouvons seulement accueillir quatre grands navires. Il n’a jamais été question d’aménager dix ou douze amarrages comme à Miami ou à Barcelone. De même, on sera aussi plafonné en nombre d’escales [572 en 2022 avec 1,4 million de passagers; avec 630 programmées en 2023, les 2 millions de passagers devraient être dépassés au vu des taux de remplissage de l’été, NDLR].

D’ici 2025, deux d’entre eux offriront la connexion électrique à quai, investissements déjà budgétés. Dans le cadre du plan « Marseille en grand » et du contrat de Plan État-Région (70 M€), il est envisagé un investissement de l’ordre de 150 M€ pour embrancher l’ensemble des bassins Est.

Vous avez organisé en octobre 2022 la deuxième édition du Blue maritime summit à Marseille, un événement réunissant toute la chaîne de valeur de l’industrie de la croisière, au cours duquel des promesses ont été formulées en série industrielle mais sans vraiment obligation de résultats.

J.F. S.: Dès la première édition en 2019, quatre armateurs – MSC, Costa, RCCL et Ponant représentant 83 % des escales dans les bassins portuaires de Marseille et 95 % des passagers –, se sont engagés à mettre en œuvre plusieurs mesures limitant leurs impacts avec effets immédiats: recours à la connexion électrique à quai, carburant bas carbone dès la prise en charge par le pilotage à l’entrée du port, vitesse réduite à 10 nœuds dans la zone pilotée et escales en GNL. Ils n’y étaient pas encore contraints par les règlementations. Leur simultanéité est la meilleure garantie de résultats. Au cours de la seconde édition, plusieurs accords ont été annoncés, impliquant la quasi-totalité des compagnies de croisière et leurs marques, naviguant dans les eaux méditerranéennes françaises. Tous anticipent les réglementations en matière de qualité d’air, de protection de la biodiversité, de traitement des déchets et des eaux usées… L’État, via la Direction interrégionale de la mer Méditerranée (DIRMM), en assure le contrôle par des visites régulières. Les résultats sont disponibles sur leur site Internet.

Lors de cette édition, la Clia, l’association professionnelle du secteur, avait indiqué que onze paquebots carburaient au GNL et qu’il y en aurait 23 de plus dans les quatre ans à venir, soit la moitié des navires actuellement commandés. Elle mentionnait que 40 % des 279 paquebots qui composent la flotte de ses compagnies membres, sont équipés pour le branchement électrique à quai. Où en est-on à Marseille?

J-F.S.: 145 escales sont au GNL. Mais le plus pertinent est de ramener cette donnée au nombre de passagers car ce sont de gros-porteurs, soit 25 % de nos passagers. Quoi qu’il en soit, tous les autres paquebots carburent avec un carburant à moins de 0,1 % de soufre et sont majoritairement équipés de pots catalytiques (SCR) qui éliminent les oxydes d’azote.

Les compagnies de croisière ont été pionnières sur le recours au GNL. Le méthanol pourrait-il être la prochaine étape?

J-F.S.: Aida, marque du groupe Costa, a fait ce choix. La compagnie a été l’une des premières à positionner à Marseille un paquebot au GNL avec l’Aida Nova. Des tests sont en cours avec le méthanol. La compagnie s’y intéresse notamment pour un usage à quai quand la connexion électrique n’est pas disponible. Le méthanol n’est pas la solution optimale si on considère les émissions sur la base du « well to wheel » a fortiori si on fait venir le carburant de loin et qu’il n’est pas vert. Sans cela, nous avons une solution à quai qui ne génère aucune émission d’oxydes d’azote et de dioxyde de soufre et qui réduit de 25 à 30 % le dioxyde de carbone. La compagnie a aussi expérimenté des batteries à bord de l’Aida Perla, rechargeables en mer par les moteurs et à quai en se branchant sur le réseau électrique terrestre. Elles alimenteront les manœuvres portuaires et serviront de puissance d’appoint aux moteurs thermiques pour soulager le réseau électrique pendant les pics de consommation.

Nous avons, un temps, craint pour nos investissements à quai si les batteries se généralisaient à bord. Mais quand les compagnies auront de l’électricité verte à quai à un prix attractif, ils y rechargeront leurs batteries pour réserver leur autonomie là où il n’y aura pas de connexion. Le modèle économique est assuré pour les vingt prochaines années sachant que la Commission européenne l’impose pour les porte-conteneurs, les ro-ros et tous les navires à passagers dès 2030.

Outre de signaler l’entrée de MSC sur le marché du luxe, la nouvelle classe Explora incarne-t-elle le projet le plus abouti en termes d’empreinte carbone pour un paquebot.

J-F.S.: Les deux premiers de la série carbureront encore au fuel bas carbone [le premier est à quelques jours de son voyage inaugural, l’autre en construction chez Fincantieri pour une entrée en service en 2024]. Les Explora III et IV seront propulsés au GNL [livraison prévue en 2026 et 2027]. Avec les V et VI, on sera proche du « zéro émission » avec une motorisation dual fuel GNL/hydrogène et un pack de batteries d’une capacité de 6 MW qui devrait permettre une totale autonomie.

Le groupe hôtelier Accor a signé avec Les Chantiers de l’Atlantique pour deux paquebots associant le système vélique Solid Sail du constructeur à un moteur bicarburant au GNL prêt pour l’hydrogène vert. Un paquebot à voile, une proposition sérieuse?

J-F.S.: La solution réside dans la mise en œuvre de solutions techniques innovantes, dont fait partie la voile, et des mesures d’économies d’énergie à grande échelle. C’est le choix de la compagnie Ponant avec son emblématique projet Swapt2Zero qui a adressé tous les champs des possibles en la matière [cf. plus loin]

Le paquebot de notre décennie consomme deux fois moins que son grand frère d’il y a 20 ans. Il sera encore possible de réduire de 20 ou 30 % supplémentaires pour les quelques tonnes quotidiennes incompressibles selon les itinéraires choisis et les e-carburants utilisés.

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