Si l’agitation était une mesure étalon du niveau d’inquiétude face à l’inconnu, un seuil critique aurait déjà été atteint. Pas une semaine ne se passe sans que ne soient relayés des lancements de projets, des campagnes de tests, des alliances industrielles ici au méthanol ou à l’ammoniac, là à la capture de carbone et à l’hydrogène… Si toutes les expérimentations ne sont pas motivées par le seul sablier réglementaire, elles traduisent une certaine précipitation.
Début juin, la Compagnie maritime belge (CMB) a pris livraison de la première unité d’une série de six porte-conteneurs bien spécifiques dans leur propulsion à l’ammoniac, leur longueur rabotée et leur caractéristique glace 1A. La CMB en avait commandé douze au constructeur chinois Qingdao Yangfan avant de se raviser pour en annuler la moitié. L’armateur a fait ses choix, considérant que l’hydrogène et l’ammoniac vert auront un rôle important à jouer dans la décarbonation du transport maritime, le premier pour les petits navires et la navigation intérieure et le second pour les plus grands navires et les lignes océaniques. L’entreprise qui, via sa filiale CMB Tech, veut se positionner sur les navires aux carburants alternatifs, a déjà à son actif quelques premières dans l’hydrogène avec le navire à passagers Hydroville, le ferry Hydrobingo et CTV Hydrocat. La compagnie est aussi à l’initiative d’une commande portant sur de grands vraquiers prêts pour l’ammoniac.
Le groupe havrais Sogestran, qui conduit plusieurs expérimentations d’alternatives au gazole sur ses barges fluviales, est à l’initiative de l’usage du HVO (huile végétale hydrotraitée), biocarburant de synthèse, sur le porte-conteneur Oural. Depuis février, l’armateur peut ainsi proposer une liaison décarbonée sur l’axe Seine. Le régime dérogatoire obtenu pour un an devrait lui permettre de sécuriser son modèle économique. Le groupe français, qui teste par ailleurs l’aile Wisamo de Michelin sur un de ses navires, devrait aussi être, d’ici l’automne 2023 le premier à opérer en France une unité fluviale à propulsion hydrogène dédiée.. « Le matériel est homologué mais nous devons mener des études complémentaires qui nous ont été demandées avant de pouvoir le mettre en navigation. Sur le plan réglementaire, nous essuyons les plâtres, en quelque sorte, d’un projet qui constitue une première pour la navigation intérieure », indique l’armateur.
Tandis que les expériences véliques se multiplient, surtout en Europe et notamment en France, le groupe de construction navale chinois China State Shipbuilding (CSSC) a annoncé avoir achevé la première installation de quatre rotors Flettner, cette technologie qui exploite l’effet Magnus pour se mouvoir. Elle a été réalisée au chantier Chengxi Shipbuilding sur le vraquier Chang Hang Sheng Hai, un navire de 189 m et 45 500 tpl mis en service en 2012. De la conception à la mise en service des prototypes, il aura fallu trois ans d’ingénierie et de construction.
Les tests effectués jusqu’à présent par CSSC témoignent d’une économie d’énergie de plus de 5 %, les résultats étant plus probants sur les vraquiers et les grands pétroliers, plus adaptés pour recevoir cette technologie.
La Chine débarque sur un segment dominé par des entreprises nord-européennes, à l’instar des grandes pionnières, les sociétés finlandaise Norsepower et britannique Anemoi Marine Technologies. Norsepower, qui estime à 250 000 le nombre heures d’exploitation de données, a annoncé en mars la levée de 28 M€ pour monter en cadence. Le spécialiste finlandais des mâts rotors a d’ores et déjà convaincu Bore, Sea-Cargo, Scandlines, Vale, CLdN, Nippon Marine. En France, l’armateur bordelais de pétroliers Socatra a récemment installé sa technologie sur l’Alcyone, premier client du Finlandais sur le marché national.
MOL, le premier des trois grands transporteurs japonais, achève pour sa part un essai de bio-GNL (issu de la biomasse) avec son navire côtier Ise Mirai, un vraquier au GNL mis en service en 2020. Dans le cadre de l’essai, Air Water a fourni la matière produite à partir de fumier de bovins et appelée LBM. L’entreprise assure qu’il peut être transporté et souté par camion-citerne sans modification des infrastructures et qu’il peut être utilisé d’ores et déjà comme carburant marin. Le transporteur a jusqu’à présent accordé ses préférences au GNL et a mis en service cette année les deux premiers ferries japonais propulsés avec ce carburant dit de transition.
Le propriétaire de navires non-exploitant Eastern Pacific Shipping (EPS) estime avoir réussi l’installation du système Filtree développé par Value Maritime à bord du navire-citerne Pacific Cobalt.
Le dispositif, qui filtre le soufre et 99 % des particules, intègre la technologie de capture et de stockage du carbone (CCS) et peut séquestrer jusqu’à 40 % des émissions de CO2 émis à la fois par les moteurs principaux et auxiliaires, assure l’entreprise singapourienne. Le CO2 ainsi capté est stocké dans un réservoir à bord avec une capacité de plus de 200 t au cours d’un seul voyage. Le polluant sera traité à terre en vue d’une réutilisation par des filières ou un enfouissement ultime.
« Pour que nous puissions atteindre les objectifs zéro émission, nous devons faire bouger les choses de manière significative dès maintenant. (…) Le CCS est une solution concrète qui peut être mise en œuvre sur des navires existants. Il en résulte une réduction immédiate des émissions de carbone sans avoir à attendre les développements futurs », indique Cyril Ducau, le PDG français d’EPS. Les coûts annuels de maintenance d’un tel système pourraient s’élever à environ 2 M$.