Au pays de la neutralité carbone

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Au pays de la neutralité carbone

Le compte à rebours vers le « zéro net émission » – la périphrase désormais admise pour évoquer la décarbonation totale de la flotte mondiale – est lancé. Et l’année 2023 est son année zéro, faisant date avec l’adoption par l’OMI en juillet 2023, non sans crispations, d’un engagement qui crante la neutralité carbone: 2050.

Il n’y a plus qu’une durée de vie de navire qui sépare la date d’aujourd’hui à l’échéance définitive de 2050. Le chemin vers la décarbonation, fût-il pavé de bonnes intentions, est surtout jalonné d’embûches qui retarderont la transition si elles ne sont pas déjouées. Les débats sur les mesures (techniques et économiques) pour honorer l’ambition de neutralité carbone en 2050, à savoir une norme sur les combustibles marins réglementant leur intensité carbone et un mécanisme de tarification des émissions carbone, vont animer pas moins de cinq MEPC à l’OMI jusqu’à un comité extraordinaire prévu à l’automne 2025. On comprend, dans ces conditions, que le secteur se saisisse des grands rendez-vous de l’agenda international pour exercer un lobbying à l’échelle afin de formater le cadre réglementaire. C’est ce qu’ont fait les CEO des cinq grands armateurs européens – A.P. Møller – Maersk, CMA CGM, Hapag-Lloyd, MSC et Wallenius Wilhelmsen, les quatre premiers totalisent 54 % de la flotte mondiale de porte-conteneurs par la capacité, quelque 2 360 navires, et autant d’émissions fatales –, en marge de la COP28, le 1er décembre. Les décisions d’investissement pour ce secteur à haute intensité capitalistique doivent se prendre maintenant, insistent-ils. Or, la révolution technologique démarre à peine avec des carburants dont la disponibilité à l’échelle (hydrogène, l’ammoniac, le méthanol, le méthane et les biocarburants) ne s’envisage pas à court terme. Sachant que la rupture radicale avec les actuels modes de propulsion va nécessiter des sommes considérables qui s’évaluent en trillion de dollars.

Entre 90 et 450 $/EVP

Les patrons desdites compagnies, dont certains ont enclenché les investissements (15 Md$ revendiqués par CMA CGM dans le GNL et le méthanol avec une centaine de navires; Maersk dans une nouvelle flotte et son avitaillement de 24 navires au méthanol), appellent clairement à une date butoir pour interdire la construction de nouveaux navires « fossiles ». Ils attendent également un « calendrier clair » et reviennent à la charge sur les fameuses « mesures basées sur le marché ». Il faut comprendre un cadre juridique qui oriente un comportement par le biais d’incitations financières. Une terrible mécanique de marché à construire pour dissuader les émissions de carbone. En attendant, les armateurs publient à tour de rôle les tarifs qu’ils appliqueront pour transporter un conteneur dans un environnement où le carbone est tarifé par l’Europe (intégration du transport maritime dans le marché carbone européen). Une étude, publiée par le consultant maritime britannique Umas, tend à montrer que l’exploitation d’un navire propulsé avec un carburant zéro émission en 2030 coûterait entre 90 et 450 $/EVP de plus (selon un scénario faible ou élevé) qu’un navire à la motorisation standard sur la route transpacifique. Il reste deux inconnues: le seuil de consentement des chargeurs à payer pour des services « zéro émission » et l’ingéniosité réglementaire pour réduire au plus vite l’écart de coût entre carburants fossiles et bas carbone.

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