Imparfaites dans les paramètres de calcul de l’intensité carbone des navires et contreproductives par rapport à l’effet recherché, ont tranché plusieurs organisations maritimes et armateurs à titre individuel. Les critiques à l’endroit des normes EEXI et CII ont longtemps été distillées en mode sous-marin, ne dépassant pas la sphère du Bimco, une association maritime internationale où affréteurs et propriétaires de navires tentent depuis des mois de se mettre d’accord sur des clauses répartissant les responsabilités de part et d’autre.
La bulle a éclaté avec MSC. L’armateur suisse, dont la légendaire réserve est la seule chose qui ne soit pas secrète, a été le premier à épingler les défauts du système. Il a alors ouvert une brèche dans laquelle ses pairs nord-européens – Hapag-Lloyd et Maersk – se sont précipités pour faire corps autour du leader.
Le navire le moins performant selon le règlement CII est un navire immobile au port, n’émettant pratiquement pas de CO2, a fait observer la compagnie dans un communiqué de presse du 1er novembre, date de l’entrée en vigueur des amendements à l’annexe VI de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires. La réglementation, dont l’objectif est de réduire l’intensité carbone des navires de 40 % d’ici 2030 par rapport à la référence de 2008, prévoit qu’à compter du 1er janvier 2023, les transporteurs devront calculer l’indice d’efficacité énergétique des navires existants (EEXI, Energy Efficiency Index), jusqu’à présent réservé aux nouvelles constructions (EEDI), et commencer à recueillir les données pour la déclaration de leur indicateur d’intensité carbone (CII, Carbon Intensity Index).
Le CII établit une grille selon laquelle chaque navire de plus de 5 000 tonnes brutes recevra une note de A à E. La première année complète, 2023, sera utilisée pour collecter les données, ce qui signifie que les navires n’auront pas leur première note avant le début de 2024. Les navires notés E une seule année ou D trois années de suite devront intégrer les corrections qu’ils entendent apporter dans le plan de gestion de l’efficacité énergétique du navire (SEEMP).
À partir de 2023, les limites d’émissions seront, chaque année, plus strictes par rapport à la base de référence de la flotte de 2019. Cela signifie donc qu’un navire classé C une année donnée pourrait passer en D les suivantes, sans que le mode d’exploitation du navire ait changé, mais simplement en raison de ce facteur de progression qui rend la conformité plus exigeante.
10 % de la flotte absorbée
La formule de calcul de l’OMI se retrouve au cœur de la polémique. Car ce calcul est basé sur le port en lourd du navire (c’est-à-dire sa capacité) et les distances de navigation annuelles et non sur la cargaison réellement transportée, ce qui donnerait la véritable intensité (émissions par tonne-mille de cargaison). Avec cette approche, pas de différence entre les navires bien remplis et ceux qui naviguent à moitié vides.
« Dans l’état actuel des choses, la méthodologie proposée pourrait conduire à des situations dans lesquelles la cote d’un navire se détériorerait simplement parce qu’il passe plus de temps au port », précise le communiqué de l’armateur, qui demande un changement de méthodologie.
Absurdité du système: un navire aurait intérêt à faire des ronds lentement plutôt que d’attendre au mouillage! « Dans une certaine mesure, cette méthode pénalise les navires qui (doivent) passer de longues périodes au port ou au mouillage », convient Alphaliner, expert de la ligne régulière. « Pendant ces périodes d’attente, les navires ne génèrent pas beaucoup d’émissions, mais ils n’accroissent pas non plus leur distance annuelle de navigation. Dans l’ensemble, les temps d’attente peuvent donc tirer vers le bas le classement CII de chaque navire. »
« Il serait de loin préférable d’avoir un indicateur opérationnel qui récompenserait les navires, notamment en se basant sur la cargaison transportée plutôt que sur une valeur théorique qui peut ne pas être en corrélation avec le transport effectué », suggère MSC, estimant que 7 à 10 % de la capacité de la flotte mondiale de porte-conteneurs pourrait être ainsi absorbée.
Cinq organisations maritimes et deux États du pavillon – ICS (International chamber of shipping), Bimco, Intertanko (pétroliers), WSC (World Shipping Council) et Interferry (ferries) et les deux registres d’immatriculation des navires Bahamas et Liberia –, avaient précédemment alerté dans un rapport soumis à l’OMI.
« Un navire amarré depuis 192 jours n’émet que des quantités très limitées de CO2, mais cette longue inactivité sera néanmoins durement sanctionnée par la CII », indiquait déjà cette étude basée sur plusieurs cas d’école. In fine, elle tend à montrer qu’il existe de nombreux paramètres qui affectent la cote CII, sur lesquels l’armateur/opérateur n’aura pas toujours la main.
Impacts sur les porte-conteneurs?
Une autre analyse portant sur 700 porte-conteneurs montre notamment que 34 d’entre eux seraient dégradés de D à E du seul fait du temps d’attente dans les ports.
« Le CII n’aura qu’un effet très limité sur la plupart des grands porte-conteneurs dans un premier temps, étant donné que la flotte est relativement jeune, avec des coques efficaces et des moteurs modernes », expliquent les spécialistes d’Alphaliner.
La situation est moins claire pour les navires en deçà de 10 000 EVP. « Ils opèrent souvent des services régionaux où les distances de navigation sont courtes et les infrastructures portuaires limitées. Dans ces situations, les navires passent souvent de longs moments au port ou à attendre dans des mouillages. »
Ils sont en outre souvent plus âgés et moins efficients sur un plan environnemental. Ils devraient être davantage impactés. « Cela pourrait conduire à des fusions de services, à une augmentation de la taille des navires et à la mise à la retraite de nombreux navires plus anciens.
Quoi qu’il en soit, s’il y a « absorption de capacité », comme l’assure MSC, elle sera plus que compensée par l’afflux de nouveaux porte-conteneurs au cours des deux prochaines années. Le carnet de commandes mondial s’élève à près de 7,5 MEVP, soit un peu moins de 30 % de la flotte mondiale existante. « Si l’on ajoute à ce phénomène des volumes de marchandises en baisse et une économie mondiale au bord de la récession, la CII pourrait ne pas être un problème en 2023 », assure Alphaliner. Il le deviendra en revanche plus tard.