Le sujet des taux de fret est clivant entre chargeurs et transporteurs. Les conférences avaient établi un certain équilibre, mais les chargeurs ont eu sur le champ européen la satisfaction de voir l’Europe les supprimer. Dès lors, le rapport entre offre et demande devrait être le seul principe. Or la crise économique, consécutive à l’épidémie et la baisse des trafics, réactualisent les éternels questionnements: sont-ils à un juste niveau?
Pour apprécier s’ils sont en accord avec le rapport entre la demande et l’offre, un retour en arrière s’impose. L’évaluation est faisable pour le marché Extrême-Orient – Europe. Les statistiques mensuelles de Container Trade System (CTS) et le China Container Freight Index (CCFI) serviront de référence.
Le premier moment à considérer est la crise de 2008. Assez classiquement, à la fin de cette année-là, les volumes s’effondrent et les taux empruntent le même chemin. La période la plus sombre se produit au printemps 2009. Cependant, à partir de juillet, les taux Asie – Europe reprennent des couleurs et vont progresser de mois en mois. Mais il faudra néanmoins attendre le début de l’année 2010 pour observer une vraie reprise des volumes. Grossièrement, les armateurs ont restauré leur taux de manière « précoce ». Peut-être ont-ils eu des signes du marché permettant de le faire? En tout cas, les navires n’ont repris de la valeur à l’affrètement que quand les volume à transporter ont réellement augmenté.
À partir de l’été 2010, le CCFI Extrême-Orient/Europe va connaître une chute brutale, plongeant à des niveaux au moins égaux à ceux de la crise de 2009. L’Europe entre bel et bien en crise, mais son acmé se manifeste lors du second semestre 2011 et elle se constate véritablement dans le trafic Asie-Europe en 2012 (– 5 % par rapport à 2011). Or, au début de 2012, les taux s’envolent à nouveau. Le contretemps est manifeste, l’Europe est en crise.
Pas de pitié pour les opérateurs faibles
Pourquoi les armements ont-ils relevé leur taux en 2012? L’histoire retient qu’à la suite de l’offre dite du « Daily Service » de Maersk, CMA CGM et MSC se sont rapprochés et deux alliances ont formé le G6. La réorganisation des alliances apparaît dès lors comme une réponse au besoin de rationaliser l’offre malmenée par la crise et la surcapacité.
Le mouvement suivant à observer se situe en 2014-2015. La parité entre l’euro et le dollar, les taux directeurs et la baisse du prix du brut favorisent le redressement de l’économie européenne. Néanmoins, l’activité conteneurisée reste déprimée à – 4 %, les chargeurs européens semblent moins acheter en Asie (zone dollar) alors que les sanctions contre la Russie (conflit avec l’Ukraine) font perdre des conteneurs à l’importation.
Très légitimement, le CCFI Extrême-Orient/Europe baissera de façon continue en 2015 mais aussi en 2016, alors que la demande porte les volumes à la hausse. Les taux vont pourtant plonger sous le seuil de rentabilité à la cellule. Ce mouvement est hors de rapport avec la demande. Les taux très bas vont alimenter la crise du conteneur de 2016, qui va se solder par la faillite de Hanjin et des fusions-acquisitions. La guerre commerciale entre armateurs, qui vont maintenir les taux de fret au plancher, n’a pas de pitié pour les opérateurs les plus faibles.
À partir de là, les taux vont se restaurer progressivement – les meilleurs années en 2017, 2018 et 2019 – mais en restant à un niveau moyen. La consolidation des armements dans leurs alliances recomposées aurait pourtant dû les porter plus haut. Mais une autre guerre commerciale, celle de la conquête des parts de marché, explique cette modération, au bénéfice relatif des chargeurs.
Avec le Covid-19, la discipline collective des armateurs leur a permis de ne pas être emportés vers les fonds. En temps de crise, ils veulent préserver une rentabilité, quoi qu’il en coûte aux chargeurs. Depuis 2008, les taux sont bien gouvernés par la demande, mais aussi par une posture générale des armateurs: en « guerre » ou en « discipline ».