Le premier papier publié par le JMM en décembre relayant l’amorce d’une inquiétude chez les acteurs de la chaîne logistique, pris en otage d’un projet de réforme déconnecté de leurs affaires courantes, fut immédiatement viral. Comme si les chargeurs et autres utilisateurs des ports français attendaient une tribune cathartique pour relayer leur colère face au « désastre » que leur inspirait ce qui se passait sur les quais. Leur difficultés au quotidien génèrent des préoccupations conjoncturelles: suppressions massives d’escales, détournements de navires, blocages sur et en dehors des terminaux, transports routiers entravés dans la gestion des cargaisons, conteneurs déroutés hors de France, surcoûts et cumul des frais…
Cela pèse et coûte: « Il s’agit de dizaines de millions d’euros par jour de pertes sèches pour nos entreprises. La perte de trafic est estimée à 40 % pour le port de Fos, le double pour le Havre », assurent TLF, TLF Overseas et la FNTR dans un communiqué commun.
Mais leurs angoisses sont surtout structurelles: « l’image exécrable » laissée par les ports français et « la crainte que les chargeurs ne prennent l’habitude de travailler avec les concurrents d’Europe du Nord ». Les associations représentant les armateurs, agents maritimes et consignataires, chargeurs, manutentionnaires, gestionnaires de ports, logisticiens, commissionnaires de transport, représentants en douane et transporteurs, furent les premières, et ce dès le 17 décembre, à avoir partagé leur sentiment de « grand gâchis »: « Depuis plusieurs mois, tous les acteurs de la filière française du transport maritime, publics et privés, sont engagés dans un vaste plan de reconquête de nos parts de marché. La situation ruine ces efforts et décrédibilise une fois de plus nos places portuaires au profit de nos concurrents », résumait Herbert de Saint Simon, président de TLF Overseas.
« Il faudra du temps pour remettre le malade d’aplomb. Alors qu’on tente de relancer l’axe Seine, on se retrouve à gérer une crise que l’on ne maîtrise pas », lâche Véronique Lépine, présidente du Groupement havrais des armateurs et agents maritimes (Ghaam). « On se pose la question de fuir les ports français. Certains chargeurs ont basculé depuis la mi-décembre à Barcelone, s’alarme Thibaut San Galli, overseas transport manager Marketing & Distribution chez Nestlé Waters, représentant les chargeurs au sein de l’UMF de Marseille-Fos. Nous perdons la crédibilité que nous avions mis tant de temps à reconquérir. La rentabilité n’existe plus puisque le fret est dérouté vers des ports étrangers ». Maisons du Monde, Perrier, Ikea, Michelin, Batimex avaient pourtant cru au retour de la fiabilité portuaire phocéenne. Tous s’interrogent sur « l’absence de signal du gouvernement » alors même qu’une stratégie de relance portuaire avait été actée il y a quelques mois…