Terres contre dettes… L’Italie, l’Espagne, la Grèce, pris à la gorge financièrement, ont cédé une part de leur souveraineté en laissant la Chine « préempter » des terminaux portuaires. « C’est peut-être notre faute à tous. Quand la Grèce et l’Italie ont rencontré des difficultés, l’Europe n’a pas fait preuve de solidarité. La puissance européenne doit être en mesure de répondre aux agressions avec une politique fiscale », plante Philippe Louis-Dreyfus, président de Louis Dreyfus Armateurs et CCE d’Indonésie. « Par la finance, la Chine va contrôler les infrastructures. Il faut se méfier de l’opium des partenariats, prendre garde à ce qui est donné à court terme et à ce que l’on en retire à long terme ». Réunis au Palais du Pharo à Marseille fin décembre, les conseilleurs du commerce extérieur ont consacré une partie de leurs interventions aux Routes de la soie.
Il y a quatre ans, la Chine faisait main basse sur le port grec du Pirée. Une perte de souveraineté dont ne semble pas s’offusquer l’armateur grec Nicolas Vernicos: « Nous n’avons jamais senti d’attitude impérialiste. Les armateurs grecs contrôlent 20 % des capacités maritimes mondiales. La Grèce a passé une période difficile. Les Routes de la Soie offrent une opportunité de revalorisation du PIB. Le Pirée a vu son trafic annuel bondir de 2 à 6 MEVP en quatre ans, se hissant au premier rang méditerranéen ». Depuis 2015, l’armateur grec occupe la vice-présidence de la CCI de la Route de la Soie.
250 versus 64 Md
Pour 4 Md€, l’empire du Milieu s’est emparé de la zone la plus stratégique de Djibouti, au cœur des routes maritimes. « Cet État souverain a baissé la garde. Là où la Chine investit, sa Marine renforce sa présence. Les Chinois déploient des infrastructures duales civiles et militaires et équipent les zones de pistes d’atterrissage, de radars, etc. Nous devons occuper le terrain et assurer la liberté de navigation dans le respect du droit et des limites géographiques. La France possède la deuxième zone économique exclusive avec 11 millions de km2. Ce qui n’est pas occupé est pillé, ce qui est pillé est contesté », avertit Pierre de Briançon, ayant en tête l’occupation en mer de Chine méridionale.
Siégeant à l’État-major de la Marine nationale, le commandant rappelle que la Chine a multiplié par cinq son budget Défense depuis 2000, qui atteignait en 2018 les 250 Md$, dont la moitié allouée à la Marine. « Le « tonnage Défense » est passé de 403 000 t à 1,4 Mt entre 2002 et 2018 », relève-t-il. « La stratégie du parti de gouvernement chinois est claire, note Luc Portier, directeur des études à CMA CGM. Ils ont les poches profondes et n’ont aucune limite lorsqu’il s’agit d’atteindre un objectif stratégique. Quitte à perdre de l’argent, ils auront au moins acquis des parts de marché ». Le représentant de l’armement conteneurisé tricolore note toutefois un début de réaction des institutions européennes. « Depuis un an, Bruxelles s’inquiète de l’évolution multimodale dans les ports. L’Europe doit être plus lucide, notamment en termes de droit de la concurrence ».
« La compagnie maritime française – dont la fabuleuse expansion s’explique en large partie par l’explosion des volumes en sortie de Chine depuis le début des années 2000 – a noué des accords avec China Merchant et fait construire ses navires en Chine. Elle n’en demeure pas moins réaliste quant aux limites de l’exercice. Si le cabotage est ouvert en Europe aux Chinois, la desserte des grands marchés de la Chine sont fermés aux armateurs étrangers », observe Luc Portier.
Axes pas à vendre
Pékin a mis son véto en entravant la création de la plus grande alliance maritime européenne, rappelle Hervé Martel, président de l’Union des ports de France: « L’autorité de la concurrence chinoise a empêché la création du P3 entre Maersk, CMA CGM et MSC. L’Europe maritime aurait pu frapper un grand coup ». Et à l’inverse, l’Europe a fermé les yeux à la reprise par Cosco de China Shipping et d’OOCL.
Marseille-Fos réalise 45 % de ses échanges avec la Chine et déroule le tapis rouge à l’industriel chinois Quechen, qui prévoit d’installer sa base européenne et unité de R&D dans l’enceinte portuaire de Marseille-Fos. Pour autant, la direction portuaire reste prudente. « Il faut figurer sur les Routes de la Soie, mais sans être naïf. La ligne rouge, c’est le régalien de l’autorité portuaire. En France, le gouvernement a défini trois zones portuaires stratégiques [les axes Rhône-Saône, Seine et Nord, NDLR]. Elles ne sont pas à vendre. Il faut dissocier les affaires de la souveraineté nationale, tout en ayant conscience des risques géopolitiques », explique Hervé Martel. Le président du directoire du port de Marseille-Fos invite Bruxelles à privilégier une approche multilatérale dans les négociations bilatérales avec la Chine.