Le saut vers l’inconnu

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Le 1er janvier, le transport maritime a basculé dans un monde inconnu, répondant au nom de code IMO2020. Un nouvel environnement dans lequel les exploitants de flotte vont naviguer au doigt mouillé, sans trop de repères quant à leurs coûts d’exploitation. Et ce, quelle que soit l’option choisie pour mettre leur flotte d’équerre avec une réglementation, édictée par leur autorité de réglementation, l’Organisation maritime internationale (OMI), qui plafonne le seuil de soufre à moins de 0,5 %.

Au 7 janvier, a calculé Alphaliner, l’analyste de référence du secteur, 266 porte-conteneurs totalisant une capacité de 2,23 MEVP étaient équipés de scrubbers, ces dispositifs qui permettent de conserver le fuel à haute teneur en soufre HFO grâce à leur rôle de filtre des gaz de cheminées. Une centaine était alors en passe de l’être. Selon ces estimations, le nombre de navires aux normes (avec scrubbers) s’élèverait donc peu ou prou à 9,6 % en tonnage de la flotte mondiale (estimée à 5 347 unités). Toujours selon le spécialiste de la ligne régulière, la capacité globale de la flotte équipée atteindrait 5 MEVP d’ici fin 2020 et 10 MEVP pour quelque 1 000 navires (nouvelles constructions comprises) d’ici fin 2022.

Premier constat basique: la majorité des transporteurs ont manifestement choisi de prendre en compte un autre poste dans les coûts d’exploitation à court terme: les amendes. Tout au long de l’année 2019, pas une seule manifestation n’a manqué de relayer leur sincérité à devenir plus verts, mais leur atermoiement à le concrétiser dans leurs investissements, faute de visibilité sur la disponibilité des carburants de substitution, la fiabilité de l’infrastructure d’approvisionnement au niveau mondial et les niveaux de prix futurs.

Écart de 250 à 300 $

À l’heure de l’échéance, le couple scrubbers/HFO domine les décisions de ceux qui ont respecté les échéances, conformément à ce qui avait été anticipé. Les coûts d’immobilisation des navires pour effectuer les travaux ont très probablement été sous-estimés (de 30 000 $ à 50 000 $ par jour pour certains). La durée d’immobilisation moyenne s’est établie en 2019 à 59 jours faute d’anticipation des exploitants, à cause aussi de la panique de dernière minute et d’un défaut de capacité des chantiers qui a provoqué un embouteillage au mouillage. Les systèmes d’épuration des gaz d’échappement offrent aux transporteurs un net avantage sur le plan des coûts d’exploitation. Du moins dans une première phase à la durée elle aussi incertaine.

Partant avec un avantage certain, les navires avec scrubbers ont au moins l’assurance de s’avitailler avec un carburant « sans surprise » quant à sa qualité et disponibilité, et surtout dont le prix moyen est, pour l’heure, selon le port de soutage, de 250 à 300 $ la tonne moins cher que son équivalent à faible teneur en soufre (VLSFO). Et alors même que le prix du fuel lourd n’a cessé de baisser tout au long de l’année 2019, de 277 à 259 $ entre octobre et décembre – il faut remonter à 2015 et 2016 pour trouver des niveaux aussi bas –, son homologue plus vertueux restait vissé à ses sommets. Il devrait le rester jusqu’à ce que le marché trouve son équilibre entre l’offre et la demande, promettent les majors du pétrole. Les fournisseurs de carburant supputent que les courbes finiront par s’inverser au point que le paria HFO deviendra même une exception.

One, désavantagé

En 2019, l’écart de prix entre le fuel lourd (HFO) 380 cst et celui à très faible teneur en soufre (VLSFO) a connu son point le plus élevé à Rotterdam à 297 $ la tonne et à 467 $ à Singapour, alors que le prix du baril de brent s’est établi en moyenne annuelle à 65 $. Au 26 décembre, à Rotterdam, le HFO/380 Cst se « touchait » à 291 $ la tonne quand le VLSFO était à 576 $/t et le MDO (gasoil marin) à 597 $/t. Un an auparavant, au 3 janvier 2019, le HFO s’établissait à 320 $/t et le MDO à 483 $/t.

Vu sous cet angle, l’armateur nippon One, seul transporteur parmi les dix premiers de la ligne conteneurisée à faire l’impasse totale sur les scrubbers, reste le plus exposé. A contrario, MSC, Evergreen et Maersk auront des charges d’exploitation de facto moins lourdes. Leur programme d’installation a été confirmé pour respectivement 250, 150 et 140 unités, y compris sur des navires en propriété et affrétés. La compagnie italo-suisse, qui a payé chèrement les retards dans les cales (15 de ses navires ont été immobilisés plus de 80 jours dans les chantiers), avait réceptionné 49 de ses unités (parmi les plus grandes) mi-décembre et 31 attendaient leur tour…

Quoi qu’il en soit, il reste difficile d’avoir le nombre exact de navires aux normes, tous segments confondus. « Il subsiste une grande incertitude quant aux niveaux de prix futurs et les récentes préoccupations concernant l’approvisionnement en HFO ont considérablement accru cette incertitude », indiquait IHS Markit dans un de ses derniers rapports. « Le récent resserrement des marchés de HFO a été causé, dans une large mesure, par une réduction notable de l’offre en particulier en provenance de l’Europe. Il y a également eu une forte réduction des niveaux de stocks à Singapour et dans divers ports européens, car les opérateurs nettoient les cuves afin de stocker à la place d’autres carburants conformes », ajoute le consultant américain.

Schistes bitumineux

La détection de nouveaux carburants dangereusement défectueux ne permet pas aux armateurs de se détendre. Le Lloyd’s Register a multiplié les alertes ces derniers mois quant à la présence de carburants non conformes sur le continent européen. Le cas d’un navire utilisant du fuel désulfuré produit à partir de schistes bitumineux en Estonie a particulièrement inquiété pour les dommages causés aux moteurs et aux systèmes. Les schistes bitumineux, qu’il ne faut pas confondre avec les sables bitumineux et les gaz de schiste (qui eux n’ont pas besoin d’être traités pour obtenir du pétrole) sont des roches sédimentaires contenant du kérogène, converti en pétrole et gaz combustible par pyrolyse. Des études estiment que la production de carburants issus de ce pétrole dit « inachevé » génère des émissions de CO2 sensiblement plus importantes que les carburants dits conventionnels.

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