Depuis le mois de mai, les incidents autour de la péninsule arabique ont réactualisé la menace de blocage du détroit d’Ormuz. Pétroliers, drones, installations pétrolières sont victimes, comme en 1987, d’attaques sans qu’il soit possible d’en attester l’origine. Les victimes sont iraniennes, saoudiennes, britanniques mais aussi émiraties, japonaises et norvégiennes, trois pays favorables à la cause de l’Iran. Contrairement à 1987, des pavillons de complaisance ont réagi : sous la pression américaine, Panama a par exemple condamné l’utilisation de son pavillon pour des activités illicites et l’a retiré à 75 navires liés à l’Iran. Des ports ont aussi refusé leur accès et l’autorité du canal de Suez a émis des restrictions.
Chaque événement a provoqué une augmentation du prix du pétrole, mais finalement timide et éphémère. Le marché est tiré vers le bas par l’économie mondiale en dépit d’une volonté stratégique de hisser les cours vers le haut. Les assureurs maritimes ont augmenté de façon substantielle les primes d’assurance, poussant les armateurs à mieux rentabiliser leurs pétroliers. Situé entre Oman et l’Iran, le détroit d’Ormuz, qui relie le golfe Persique au golfe d’Oman et à la mer d’Arabie, voit toujours passer ses 16 millions de barils par jour, destinés en majorité à l’Asie (85 %), à l’Europe (7 %), mais peu vers les États-Unis. Les pays européens et les riverains de ce point de passage ont un intérêt économique à un trafic sans entrave du pétrole et du gaz naturel liquéfié.
Un marché complexe
Le marché pétrolier est plus complexe qu’il n’y paraît : un des aspects marquants est celui du naphta et des condensats, utilisés pour fluidifier le brut et permettre son exportation. Les sanctions à l’encontre de l’Iran, dont la production a été divisée par quatre depuis mars, imposent désormais d’en importer de très loin, ce qui n’a pas eu d’impact tant que les taux de fret étaient bas. Mais la raréfaction du nombre de pétroliers change la donne.
Bien qu’ils soient devenus moins dépendants du pétrole du Moyen-Orient qu’en 1987, les États-Unis veulent en contrôler le cours pour poursuivre leur politique générale de partenariat avec l’Arabie Saoudite et de soutien inconditionnel à Israël. En pleine guerre commerciale, partisans de la pression maximale sur l’Iran, ils peinent à convaincre leurs alliés européens en dehors du Royaume Uni.
La position russe est plus radicale : Moscou propose une coalition contre-terroriste et, pour marquer sa différence, annonce des exercices navals conjoints avec l’Iran.
Les États parties à l’accord de Vienne veulent encore sauver ce pacte par lequel Téhéran s’engage à ne pas se doter de l’arme atomique et à brider son programme nucléaire en échange d’un allègement des sanctions internationales. L’Iran exige de ses partenaires, et en premier lieu des Européens, qu’ils prennent des mesures efficaces pour garantir ses intérêts et qu’ils l’aident à contourner l’embargo américain, notamment pour vendre son pétrole. S’estimant non satisfaits, les Iraniens ont commencé à s’affranchir de certains des engagements nucléaires et menacent d’aller plus loin en brandissant la menace du programme nucléaire saoudien.
Un enchevêtrement d’intérêts
Finalement, ce sont les Asiatiques les plus prudents, arguant de la densité de navigation dans le détroit qu’il ne faut pas surcharger. Le président chinois Xi Jinping a appelé sans surprise les États du Golfe à la retenue et au dialogue : il peut difficilement parler différemment. La politique de la Chine au Moyen Orient est de tirer profit de tous les pays et de s’appuyer sur les monarchies du Golfe comme relais à ses Routes de la soie. Les Saoudiens ont accepté d’accueillir des forces américaines pour stabiliser la région.
Les Iraniens ne refusent pas le dialogue avec les Américains mais non sans se placer en position de force. Ils mettent des missiles balistiques dans la balance en échange d’un arrêt du soutien américain à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis et de l’assouplissement des sanctions économiques imposées par Washington. Le président américain, en campagne électorale, cherche un nouvel accord qui le valorise, mais les Iraniens sont réticents. Les Iraniens, militairement supérieurs à leurs voisins, possèdent des moyens (sous-marins de poche, mines, vedettes rapides) qui pourraient opérer de façon cachée. Ils ne prennent pas leurs adversaires par surprise. Ainsi quand le guide suprême iranien Ali Khamenei annonce que son pays répondra « au moment et à l’endroit opportuns » à l’interception d’un pétrolier iranien par les Britanniques, ses forces agissent en conséquence.
Face cachée de la montée du baril
Pour assurer la sécurité maritime, une palette d’options existe, du simple suivi de la situation à l’escorte, mais la diminution générale du nombre de frégates dans les marines occidentales imposerait de mieux unir les efforts, sans omettre la dissuasion conventionnelle d’une frégate armée de missiles de croisière.
Aucune hypothèse ne peut être exclue dans l’origine des arraisonnements de navires. L’Iran a intérêt à faire monter le cours du baril : après les attaques du 14 septembre, l’Arabie saoudite, qui cherche à privatiser le compagnie d’État Aramco, aurait maintenu un volume important de livraison en revendant du pétrole irakien probablement issu de la contrebande avec l’Iran. Les États-Unis, en affrontement feutré avec la Chine, cherchent également une montée des cours pour rentabiliser leur production, mais aussi pour gêner leur rival. Des sanction récentes ont frappé les armateurs pétroliers chinois dont le géant Cosco, provoquant une pénurie de pétroliers sur le marché du fret. La seule certitude est qu’Ormuz ne peut pas fermer : tous les pays sans exception ont intérêt à maintenir le détroit grand ouvert. L’Europe, pour sa part, devrait déployer dans la région des unités navales pour garder son autonomie d’appréciation de situation.
Par Alain Oudot de Dainville et Francis Baudu Membres de l’Académie de Marine