La Malaisie a de grandes ambitions portuaires. Le ministre des Transports faisait savoir mi-octobre que Tanjung Pelepas pourrait porter sa capacité de 12,5 à 30 MEVP à l’horizon 2030. Il avait été annoncé précédemment que 3,5 MEVP supplémentaires seraient effectifs à compter de 2025. Situé à l’embouchure de la rivière Pulai, à seulement 10 km de Pulau Ujong, l’île principale sur laquelle est bâti Singapour, Tanjung Pelepas dispose d’un terminal en eaux profondes, équipé de grues super post-panamax, le rendant accessible aux plus grands porte-conteneurs. Il a d’ailleurs récemment accueilli le MSC Gulsun, actuel géant mondial en titre avec ses 19 574 EVP. Tanjung Pelepas est de facto un concurrent direct de Singapour, le transbordement ayant en 2018 compté pour 94 % dans ses 8,9 MEVP de trafic. De plus, il n’est pratiquement qu’à un jet de pierre de Tuas, le futur terminal conteneur de la cité-État, voué à se substituer à ceux existants. Prévu pour entrer graduellement en fonction à partir de 2021, il aura 21 quais en eaux profondes et une capacité de 20 MEVP dès 2027, laquelle sera, selon des plans à long terme, portée à 65 MEVP en 2040, une fois achevé.
Singapour n’est pas prêt à s’en laisser conter et, en début d’année, il a réalisé un coup en concluant un joint-venture avec One pour opérer en commun quatre quais à partir du premier semestre 2020. Ce qui lui assure la présence des trois grandes alliances maritimes pour plusieurs années.
Reste donc à voir quels investisseurs privés vont financer l’agrandissement de Tanjung Pelepas, sachant que l’État malais a précisé qu’il appuiera le projet sans sortir le carnet de chèque. D’autant que Tanjung n’est pas le seul port malais à envisager des développements. Assurant 77 % du trafic de Port Klang avec 9,5 MEVP en 2018, Westports a lui aussi fait part de son intention de pousser sa capacité de 14 à 30 MEVP en 2040, pour laquelle il a obtenu une acceptation de principe des autorités.
Il existe aussi un projet pharaonique, aux contours encore un peu flous, de création d’une cité maritime et d’un port en eaux profondes sur l’île de Carey, au sud de Port Klang.
Enfin, la réalisation de la ligne ferroviaire qui relie la côte est de la Malaisie à la région de Kuala Lumpur ayant été relancée, le transbordement de conteneurs par train entre Kuantan et Port Klang revient en discussion.
L’Indonésie se positionne
Partant de beaucoup plus loin, l’Indonésie aimerait bien avoir sa part du gâteau. L’opérateur portuaire Pelindo I va dépenser 85 M$ pour relancer Batu Ampar, sur l’île de Batam, face à Singapour. Plus généralement, le pays entend développer le portuaire. Sont notamment concernés le terminal conteneur de Medan, à Sumatra, et celui de Kalibaru, à Tanjung Priok, près de Jakarta, dont les travaux ont pris du retard et qui n’est encore que partiellement opérationnel. Une fois terminé (en 2023?), il disposera de 18 MEVP contre 5 MEVP aujourd’hui et pourra accueillir des unités de 18 000 EVP. Il est aussi question du Java Integrated Industrial Port Estate, un vaste projet de 1,2 Md$ à l’est de Java, à Gresik, près de Surabaya, doté d’un parc industriel et d’un port de 3 MEVP. Livré au premier semestre 2022, il sera opéré par un joint-venture entre DP World et le groupe industriel public indonésien Maspion.
Ces ports ne devraient pas perturber le transbordement dans le détroit, mais pourraient influer négativement sur son volume, en incitant les armateurs à les desservir par des services directs compte tenu de leurs capacités accrues. Un phénomène qui n’est pas nouveau. Entre 2010 et 2016, la part du transbordement dans le trafic des ports conteneurs du détroit de Malacca est passée de 91,5 à 73,4 %. S’il fallait retenir deux exemples types de nouveaux ports en eaux profondes d’Asie du Sud ayant attiré récemment des services directs, ce serait Cai Mep Thi Vai, au sud du Vietnam, et le tout récent Lach Huyen, sur l’île de Cat Hai, près d’Haiphong, dont la capacité atteindra 3 MEVP dans les prochains mois.
La Thaïlande en temporisation
En Thaïlande, la troisième phase de l’extension de Laem Chabang, qui porterait sa capacité de 11 à 18 MEVP, est mise en sommeil. Les incertitudes économiques mondiales pèsent sur sa concrétisation. Dans le cadre du projet d’Eastern Economic Corridor, le Royaume avance toutefois sur le développement d’un port polyvalent comprenant un terminal conteneur à Map Ta Phut, dans la province de Rayong. Il a en outre conclu un accord avec la Birmanie pour créer, à Dawei, à la frontière sud birmane, une Special Economic Zone avec un port en eaux profondes.
Le développement du secteur portuaire birman suscite par ailleurs l’intérêt de plusieurs États. La Chine projette depuis plusieurs années une infrastructure de 4,9 MEVP sur sa côte ouest, à Kyaukphyu, qu’elle relierait au Yunnan.
L’Inde et le Japon font cause commune pour contenir l’influence chinoise et sa Belt and Road Initiative dans la région. Le groupe indien Adani va ainsi implanter un terminal près de Yangon (ex-Rangoun), sur la rivière éponyme. Il devrait être en service fin 2020 avec une capacité de 150 000 EVP, ensuite étendue à 800 000 EVP pour juin 2021. De leur côté, Les entreprises japonaises Kamigumi, Sumitomo et Toyota Tsusho ont ouvert en juin un terminal de 240 000 EVP près de la Special Economic Zone de Thilawa, également aux abords du fleuve Yangon.
Le Japon et l’Inde ont par ailleurs signé un accord avec le Sri Lanka pour développer en commun le East Container Terminal à Colombo. D’une longueur de quai de 1,2 km avec tirant d’eau de 18 m, il apportera 2,4 MEVP de plus au port sri-lankais, où China Merchants Group opère le terminal CICT. Un investissement qui vise aussi à s’assurer que Colombo conserve sa prééminence sur le très controversé Hambantota, financé et contrôlé par des intérêts chinois et géré par China Merchants Group depuis 2016. L’annonce, en 2017, par le Premier ministre sri-lankais que China Merchants Group allait bénéficier d’un bail emphytéotique de 99 ans avait soulevé une vague d’indignation.