Toutes les actions et prises de position du cluster depuis sa création ont milité pour l’idée d’une « Grande Caraïbe connectée au monde ». Qu’entendez-vous par là?
Sandra Casanova: La Grande Caraïbe s’étend du Mexique jusqu’au plateau des Guyanes. Il s’agit de toutes ces terres qui bordent la mer des Caraïbes, le golfe du Mexique, l’océan Atlantique. C’est un marché de près de 800 millions d’habitants qui échange beaucoup avec le reste du monde mais dont les flux intérieurs sont peu structurés. Concernant les Antilles-Guyane Françaises, les flux commerciaux avec le reste de la Grande Caraïbe représentent à peine 10 %.
Quelles sont les mutations de cette zone? De nombreux projets sont évoqués. Hormis l’extension du canal de Panama, il est difficile de leur attribuer une réalité économique
S.C.: Tous s’inscrivaient dans une logique de mise à niveau des équipements afin de rester compétitifs ou d’être en capacité de capter les nouveaux flux de marchandises, générés par l’ouverture de la 3e écluse du canal de Panama. Mais tous n’ont pas pu être au rendez-vous. Pour le canal interocéanique du Nicaragua, les travaux n’ont pas démarré. En revanche, la zone économique spéciale de Mariel à Cuba accueille depuis 2014 un terminal à conteneurs moderne. L’extension et la modernisation du port de Kingston, hub international géré par KFTL, filiale de CMA CGM en Jamaïque, est en service depuis 2016. L’extension des ports de Martinique et de Guadeloupe est une autre réalité.
Quelles sont ses problématiques sur un plan maritime et portuaire?
S.C.: Une coopération entre les ports français de la Caraïbe les rendrait plus forts face à la concurrence. Il n’y a pas ou peu d’analyses concurrentielles des ports voisins étrangers. L’exigence de performance logistique et économique à partir des infrastructures disponibles est souvent relayée au second plan. Cependant, dans cette compétition mondiale, il faut miser sur la différenciation de l’offre et l’innovation des services logistiques proposés, la mise en œuvre d’activités à haute valeur ajoutée, la simplification des procédures, la gestion des données numériques….
Par conséquent, quels sont les enjeux de la supply chain?
S.C.: Le marché caribéen est segmenté. Le transport de personnes et les flux de marchandises non conteneurisés intra-caribéen sont des défis permanents.
Avoir une vision d’ensemble des flux existants et développer une approche globale et concertée entre acteurs régionaux permettrait de convertir en chiffre d’affaires une bonne partie des expéditions qui s’avèrent impossibles mais pour lesquelles, la demande et les moyens existent, sans jamais se rencontrer.
Quels seraient les leviers d’attractivité pour ces territoires? La fiscalité?
S.C.: Il faut s’inspirer de ce qui fonctionne: zones économiques spéciales, zones franches, etc. Mais ces dispositifs ne sont utiles que si vous souhaitez (réellement) attirer de nouveaux investisseurs dans votre territoire. Les acteurs économiques historiques ne cherchent pas à faire des économies d’échelle, et vont rarement hors de leur zone de confort, les Antilles-Guyane françaises.
Dans ce contexte, comment peuvent se positionner la Martinique et la Guadeloupe… et leurs ports?
S.C.: Comme hubs régionaux dans le bassin caribéen, mais elles ont aussi toutes les deux les mêmes clients et offrent les mêmes services. Elles investissent toutes les deux de manière substantielle, mais ce qui fera la différence, ce sera la capacité à fidéliser les clients existants, à attirer de nouvelles compagnies maritimes, à offrir le meilleur rapport qualité/prix et à proposer un hinterland doté des infrastructures et des services permettant de créer de la valeur ajoutée sur des produits et services sans que les taxes/douanes découragent l’initiative. Aujourd’hui, les variations d’octroi de mer sur des produits similaires entre Guadeloupe et Martinique amènent les acteurs de l’import/export à sélectionner le port de dédouanement en fonction de cela. Pour ce qui est des activités de transformation, assemblage… quand les charges rendent l’activité non compétitive, les acteurs économiques choisissent de délocaliser à Sainte-Lucie, par exemple. Nos ports sont des leviers de croissance, en fonction de la pertinence de leurs orientations stratégiques.
Les économistes soutiennent que le canal de Panama n’a pas apporté grand-chose à ces territoires. Êtes-vous d’accord avec cela?
S.C.: L’administration portuaire du Panama affiche sa satisfaction quant à la rentabilité de l’infrastructure du fait de l’augmentation conséquente des passages. Le doublement du trafic de Panama bénéficie, notamment, au port à conteneurs de Kingston parce qu’il est, d’un point de vue géographique, idéalement placé, mais pas seulement! La Jamaïque et CMA CGM ont trouvé un intérêt à agir ensemble pour le renforcement des positions stratégiques de la compagnie maritime dans la Grande Caraïbe. Durant les 9 ans de construction, certains ont beaucoup commenté, d’autres ont agi.
Dans ce vaste espace, l’enjeu du transbordement est prégnant.
S.C.: Caucedo et Carthagène et bien d’autres ont des activités importantes de transbordement. Le port se positionne sur le transbordement quand il dispose de foncier important et que ses ressources humaines lui permettent de traiter des volumes de façon compétitive. Les petits ports favorisent aussi le développement d’infrastructures et services, mais pour l’accueil de la croisière ou de marchés de niche. Les petites îles s’inscrivant dans des visions stratégiques à moyen et long terme, elles modernisent leurs ports, mais la dématérialisation des échanges et les process qualité sont au cœur de leurs démarches. Les personnels sont formés régulièrement et le développement durable est une préoccupation constante. L’activité transbordement n’est pas leur activité principale.
Vous avez été élue au conseil d’administration de la Caribbean shipping association, que l’on présente comme l’une des plus importantes associations maritimes de la zone, à l’occasion de la 45e assemblée générale en octobre 2018. Que faut-il y lire?
S.C.: Que la Caraïbe française a gagné en visibilité, dans des instances professionnelles de premier plan dans la Grande Caraïbe. Cependant, si les efforts soutenus du Cluster GAT Caraïbes ne trouvent pas de relais, nous risquons de revenir à la case départ après plus de 7 ans d’énergie déployée.
La grande Caraïbe, zone de passage obligé du commerce maritime mondial?
S.C.: Une réalité car 90 % des flux mondiaux traversent nos eaux.