Autrefois, il se disait que l’opinion publique était souveraine. Aujourd’hui, c’est la perception publique qui est devenue impériale. Et quel que soit le domaine où sa conception de l’éthique s’applique (politique, industrie, grande distribution transport…) – on pourra la juger excessive, injuste, sans discernement, puritaine même parfois –, son seuil d’acceptation sociale a atteint son point éclair. Hautement inflammable.
Avec elle, on ne sait jamais très bien où va tomber l’obus – simple fatalité médiatique ou puissance émotionnelle de l’image d’un paquebot éperonnant dans sa course folle un quai de la Sérénissime Venise? – mais quoi qu’il en soit, ces derniers temps, il a frappé et a touché-(pas) coulé une nouvelle cible.
En jetant son dévolu sur le transport maritime, le citoyen a pris de court un secteur qui a longtemps eu ses aises avec la mer. Faut-il rappeler qu’il a fallu ergoter pendant 10 ans à l’OMI sur les gaz à effet de serre générés par la combustion du fuel lourd avant d’admettre que les navires étaient de gros contributeurs de ces faux amis du Mendeleïev (NOx, SOx…) qui polluent aujourd’hui l’air ambiant.
Que les récentes pudeurs environnementales de la société mettent sous pression des armateurs, dont le principe d’évolution repose sur la contrainte (un accident = une réglementation), il est assez aisé de le penser. Que les exigences sociétales bousculent l’agenda de l’OMI, qui estime à 30 ans le temps légal pour rendre neutre en carbone le transport maritime, il est permis d’en douter. Que l’intransigeance du consommateur se satisfasse d’une échelle de temps à 2050 sans « désespérer du transport maritime », osons espérer que non.
On laissera aux experts le soin d’estimer si la jauge est un délai-confort pour rendre industriellement crédibles toutes les alternatives technologiques et dénicher les financements alors que les sources se sont cruellement asséchées (voir notre sujet dans ces pages). On laissera aux historiens le soin de ratifier la charge historique du « moment » pour les avancées futures…
Mais le débat sur le transport maritime mérite un saut qualitatif pour « carburer » à autre chose que la sempiternelle recherche de la faute à… Sans complaisance opportuniste des armateurs. Sans mauvaise foi du consommateur, complice passif qu’il n’a pas toujours conscience d’être. Il ne peut plus ignorer que les « moustiques » (à l’échelle d’une carte de MarineTraffic) qui colonisent les mers sont le prix à payer d’un système marchand qui se fournit abondamment à 22 000 km pour apurer ses envies consuméristes en juste-à-temps et à vil prix.
Et l’on éviterait peut-être d’en arriver à des coups de sang entre un président de conseil de surveillance de port et un journaliste, dont la question, certes maladroitement posée (« combien cela rapporte au port de tuer des gens? ») mais légitime (rapport bénéfices/impacts pour un territoire), a nécessité l’intervention d’urgence apaisée du directeur du port, admettant que la question se pose mais dans un autre espace que l’hémicycle portuaire car « il s’agit là d’un débat de politiques publiques ». Un « petit » référendum d’initiative populaire sur le sujet? Une idée sur la formulation de la question?