Neoline se rapproche un peu plus du lancement de son premier navire d’un genre pas tout à fait comme les autres puisqu’il s’agit de cargos rouliers dont la voile constitue la principale propulsion, alors que le moteur n’est qu’auxiliaire, réservé au chenalage (navigation dans le chenal) et aux manœuvres portuaires. L’entreprise nantaise a en effet signé début juillet une lettre d’intention avec le groupement d’industriels des Pays de la Loire Neopolia (146 entreprises habituées à travailler ensemble sur les gros projets industriels). L’objectif est désormais de lancer la construction fin 2019, et celle du second, six mois plus tard. Il seront exploités sur une ligne reliant Saint-Nazaire à Charleston, sur la côte Est des États-Unis, et desservant aussi Baltimore, Bilbao et Saint-Pierre-et-Miquelon. La rotation étant prévue pour durer 30 jours, deux navires sur la ligne offriront une fréquence de deux semaines.
« Un projet d’armateurs basé sur la transition énergétique », souligne Adrien Simonet, le directeur général adjoint de cette société, fondée en 2015 par neuf associés, issus pour la plupart de la marine marchande. Lui a arrêté de naviguer en septembre 2018 pour se consacrer à l’aventure entrepreneuriale. Neoline est en train de boucler le financement de son projet, estimé pour les deux navires, fonds de roulement compris, à quelque 100 M€. « Nous devons d’abord constituer nos fonds propres, apportés pour 25 % par Neoline et le reste par des investisseurs via des levées de fonds. Nous aurons ensuite recours à l’emprunt bancaire », indiquait en juillet au JMM le président de Neoline, Michel Péry, 25 ans de commandement dans la marine marchande, dont celui du voilier Belem.
Neoline affirme avoir recueilli une quinzaine de lettre d’intentions de chargeurs, dont ceux officialisés publiquement, Renault, Manitou et Bénéteau, qui pourra embarquer en ro-ro des bateaux jusqu’à 9,8 m de haut, sans démonter les parties aériennes. « Nous leur apportons, pour le même prix de transport, une amélioration logistique pour du matériel hors gabarit, qu’ils sont aujourd’hui obligés d’acheminer par la route vers les ports du Nord de l’Europe. L’argument environnemental est aussi très fort pour un nombre croissant de chargeurs, à condition que notre solution ne soit pas plus chère », assure Michel Péry qui revendique un taux de fret compétitif, ne dépendant de surcroît ni des cours du pétrole, ni de l’évolution des réglementations.
Un vrai puzzle industriel
Pas moins de 17 chantiers à travers le monde ont été consultés par Neoline, avant que ne soit retenu le consortium Neopolia.
Pour les Neoliner, la construction de la coque et la grosse chaudronnerie seront effectuées dans un chantier européen, puis la coque sera remorquée jusqu’aux bassins du port de Saint-Nazaire. « Des discussions sont encore en cours avec trois chantiers européens, précise Alain Leroy, président de Neopolia. Les finitions, qui représentent 60 % du coût total du navire, seront réalisées dans la région de l’estuaire de la Loire. Entre 20 et 25 entreprises adhérentes interviendront. »
Le groupement, qui porte le contrat, contracte avec ses entreprises membres, choisies suite à un appel à manifestation d’intérêt. Une solution attractive pour le client par rapport à la sous-traitance classique puisque Neopolia ne prend pas de marge sur ses adhérents.
Choix d’une motorisation diesel électrique
Neoline table sur une vitesse commerciale de 11 nœuds. À la clé, une réduction de 80 à 90 % de la consommation de carburant. « Les simulations d’un départ tous les trois jours, menées avec la société D-ICE et basées sur des données météo historiques, nous ont permis de parvenir cette vitesse. Cela montre que nous pouvons naviguer sous voile seule à 12 nœuds la moitié du temps, et que la moitié du gasoil consommé servira à la consommation électrique du bord », précise Adrien Simonet. Le choix du gasoil est lié à la faible consommation du navire, qui ne rentabilise pas un système de nettoyage du soufre, nécessaire avec l’utilisation de fuel. Le GNL a vite été écarté, le stockage de ce carburant prenant trop de place à bord et le dessin de la carène étant contraint par la recherche d’hydrodynamisme. Le choix d’une motorisation diesel électrique permet cependant de faire évoluer le navire, avec par exemple l’ajout de batteries pour faire face aux pics de consommation, voir le tout-électrique pour les chenalages avec davantage de batteries, sous réserve de bénéficier de branchement à quai. L’utilisation d’une pile à combustible à hydrogène pourra aussi être envisagée.
Cap sur l’avenir
Au-delà des deux navires, Neoline a naturellement d’autres ambitions. « Nous pourrions rechercher un effet d’échelle avec des navires plus grands ou construire un navire dédié pour un seul chargeur industriel », révèle Michel Péry. Renault, par exemple, serait intéressé par un navire à la capacité de 4 000 voitures.
Le transport de marchandises à la voile comporte cependant des limites: la zone de navigation doit être régulièrement ventée et les trajets d’une distance suffisante, ce qui exclut par exemple la Méditerranée. Le fret doit être adapté, ce qui interdit a priori le transport de conteneurs, les mâts interdisant la manutention verticale. Enfin, les cargos à voile resteront limités en longueur, signale Michel Péry, la tonnage du navire augmentant d’un facteur trois avec sa longueur, alors que la surface de voile, que d’un facteur deux.
La flotte de cargos à voile pourrait atteindre 250 à 350 unités d’ici 15 ans, estiment les fondateurs de Neoline. Neopolia voit pour sa part « une vraie opportunité de construction d’une nouvelle filière en France, à condition que les financements et garanties bancaires suivent. »
Pourquoi un gréement duplex?
Le cargo à voiles a été conçu par Neoline en collaboration avec le Bureau Mauric. Les plans ont été pré-approuvés par DNV-GL. Le navire comporte quatre mâts disposés non pas en une seule ligne, mais sur deux rangées. Ce gréement de type « duplex » a déjà été expérimenté dans le domaine de la plaisance ou de la course, mais était trop complexe pour ces usages. Il présente, en revanche, plusieurs avantages dans le cas d’un cargo, à bord duquel les voiles sont télécommandées par hydraulique, et non réglées avec des cordages. Ce gréement permet par exemple de doubler la surface de voile, atteignant 4 200 m2, sans augmenter le tirant d’air. Il situe aussi les pieds de mâts sur les murailles du navire, point naturellement fort de la structure, ce qui préserve la capacité de cale qui ainsi, n’est pas encombrée par un mât la traversant. La coque de 136 m de long pour 24 m de large et 5 000 t de port en lourd est dotée de plans anti-dérives, dont la conception est identique à des stabilisateurs antiroulis, mais disposés verticalement. Une motorisation diesel-électrique de 4 000 kW est aussi prévue. Quant à l’équipage, il est composé de 14 membres (identique à un navire classique de cette taille), les compétences étant remontées depuis la machine vers le pont, car le moteur tournera peu alors que la manœuvre et l’entretien du gréement nécessitera du personnel.