Dans cette période de campagne électorale européenne se télescopant en France avec une crise sociale d’un genre nouveau, la problématique environnementale liée à l’exploitation des navires a fait irruption dans l’actualité.
S’ils peuvent légitimement considérer injuste la mauvaise publicité dont ils font l’objet en étant taxés de pollueurs, les acteurs de l’industrie maritime doivent néanmoins s’interroger sur leur avenir. Car, au-delà de leur image entachée, il s’agit de leur place dans la bonne marche de nos sociétés dont il est question.
Qu’est-il arrivé à ce secteur, qui a incarné pendant tant de décennies une fierté industrielle pour symboliser aujourd’hui tout ce que la globalisation a de détestable.
On revient de loin. L’histoire maritime des deux siècles derniers s’est nourrie dans l’imaginaire collectif des grands mythes d’aventure mais aussi des migrations qu’ont « réceptionnées » les grands ports des métropoles alors naissantes, points de ralliement névralgiques de millions d’êtres humains. C’est le début d’une ère où l’industrie maritime devient un grand pourvoyeur d’emplois marins et portuaires.
Puis, les fameux liners – se souvenir de la ferveur accompagnant le lancement du paquebot France – sont restés à quai, supplantés par les avions. Les crises de la marine marchande, les marées noires à répétition sur les côtes, les révélations sur les pavillons de complaisance… ont plus récemment pris toute leur part au climat de défiance à l’endroit d’un secteur qui n’en reste pas moins, quoi qu’on en dise, vital à l’économie mondiale.
Puis, dans la dernière décennie du XXe siècle, le secteur maritime est revenu aux avant-postes, sur la pointe des pieds mais pas dans le meilleur rôle, en devenant un élément fondamental de la globalisation dans la mesure où il permet à tout un chacun d’échanger biens ou marchandises à l’échelle planétaire à un prix de transport dérisoire. Appliquée au maritime, cette libéralisation des échanges est à l’origine de la croissance exponentielle du secteur. Les volumes à transporter, se traduisant par une course à la taille des navires et l’agrandissement des ports pour les accueillir, sont devenus de fait la principale variable d’entrée.
400 Mt de déchets
Une seule donnée est restée toutefois longtemps invisible aux yeux du grand public, que certains ont appelé parfois « le sang impur » de la globalisation, à savoir le carburant liquide, matière première indispensable au bon fonctionnement du transport maritime. Car, depuis deux siècles, la formidable croissance enregistrée s’est sans conteste construite autour des hydrocarbures. Quelle que soit son origine et sa qualité, chaque litre de pétrole brut, qui entre dans une tour de cracking d’une raffinerie, engendre une matière noire. Comme souvent dans tout processus industriel, la naissance d’un produit provoque celle d’un déchet qui, dans un monde parfait d’économie circulaire, trouverait une valorisation pour être éliminé définitivement ailleurs que dans un incinérateur à haute température ou enfoui dans les profondeurs terrestres.
Ce sont 400 Mt annuelles de ces déchets ultimes qui ont trouvé débouché comme carburants maritimes après avoir été bannis peu à peu des centrales thermiques électriques, cimenterie ou autres industries sous la pression citoyenne. On l’oublie souvent.
Peut-être que les raffineurs auraient pu expliquer que les lois de la chimie font du consommateur de chaque litre d’essence ou de gasoil sur cette planète un complice passif de la naissance d’un résidu baptisé fuel-oil.
Peut-être que le secteur, dans son ensemble, a trop tardé pour expliquer à froid les enjeux fondamentaux d’une industrie aux mille visages, qui aussi imparfaite soit-elle, est néanmoins largement engagée dans la transition environnementale.
Il est vrai que les navires ont cette faculté première de disparaître derrière l’horizon, emportant avec eux leurs pollutions loin des regards et de certaines préoccupations. C’était oublier un peu vite les manœuvres et séjours à quais. Et c’est cette présence dans les ports, que personne ne peut plus ignorer, qui aujourd’hui suscite un rejet fort.
Le dénigrement relayé en boucle dans les médias – l’argument du paquebot représentant 1 million de voitures – est symptomatique de cette répulsion.
C’est d’autant plus dommageable que peu de voix s’élèvent pour contredire alors qu’un effort de pédagogie s’imposait.
Sur le plan technique, le passage à un nouveau produit à la teneur en soufre limitée à 0,5 % – comme l’exige la réglementation dite du Global Sulphur Cap à compter du 1er janvier 2020 – représente un front technologique majeur pour l’ensemble des acteurs. Il se double toutefois d’une inconnue financière avec pour seule certitude une forte augmentation du gasoil maritime et, par ricochet, de tous les hydrocarbures raffinés sur la planète.
Ce volontarisme réglementaire sans précédent appelle surtout une révolution technologique, opportunité inédite pour faire de l’industrie maritime un laboratoire des énergies nouvelles.
Si certains considèrent sans doute que la marine marchande concentre et symbolise une grande partie des maux de notre civilisation, elle recèle aussi les solutions de demain en matière environnementale qui permettront de garantir l’approvisionnement tout autour de la planète, du reste sa raison d’être.
La propulsion vélique, le développement des mâts-ailes, le GNL, les premières méga-batteries, les piles à combustible, la connexion des navires à quai, les biocarburants, les technologies numériques portent autant d’améliorations nettes des indices environnementaux sans pour autant promettre le zéro émission à court terme. Il serait aujourd’hui irresponsable de claironner que ce but ultime est à portée de main pour les 60 000 navires en service. Mais il est permis aussi de rêver lorsqu’on voit les projets les plus fous inspirés du bio-mimétisme comme ceux de cargos géants sous-marins mus par les seuls courants.
Si les prochaines décennies s’annoncent révolutionnaires techniquement, le chemin financier reste aussi pavé d’embûches car la montée en gamme environnementale a un coût. Les taxes sur le carburant maritime, qui se murmurent dans les couloirs de la communauté européenne ou à l’OMI, sont encore le réflexe d’une humeur mal maîtrisée. Et une fausse bonne idée, le consommateur-citoyen réglant la facture de ce type de proposition. Nous devons rêver mais surtout bâtir un nouveau monde maritime. Celui des éco-modernistes, revendiqués par un nombre croissant de citoyens, est sans doute celui qui permettra d’amortir le choc à venir en préservant l’essentiel, à savoir ces échanges devenus indispensables à notre civilisation sauf à vouloir sa disparition. L’industrie maritime peut écrire une nouvelle page de son histoire à même de ré–concilier définitivement ses actionnaires avec le reste de l’humanité. Mais à une seule condition: faire de l’impact environnemental de son activité la préoccupation principale de toutes ses décisions économiques…