En dépit d’avantages considérables, de ses enjeux pour l’indépendance d’un pays (sûreté des espaces maritimes, sécurité stratégique des approvisionnements…), le registre international français (RIF) reste en deçà du seuil de flottaison. S’il a endigué l’érosion vers les registres d’immatriculation étrangers, le pavillon tricolore reste « trois à quatre fois moins élevé que dans de nombreux pays européens, vingt fois moins que dans certains pays dans le monde », pointe François-Xavier Balme, avocat d’affaires spécialiste du maritime au sein de Gide Loyrette Nouel.
Sur la seule dernière année, entre le 1er juillet 2018 et le 22 mai, le nombre de navires enregistrés en France stagnait (+ 0,93 %). Soit 326 navires sous la bannière tricolore, dont 89 dans le segment des transporteurs (27,3 % en nombre mais 94,6 % de la jauge). Toutefois en un an, leur nombre a augmenté de 8,5 %. La percée la plus remarquable est à attribuer à la plaisance professionnelle (73 navires au Rif mais en progression de 21,7 %), cependant sans doute par effet d’aubaine car, depuis que les navires de plaisance à utilisation commerciale de moins de 24 m sont autorisés à bénéficier de l’ensemble des avantages du registre, la flotte a doublé. Le ralentissement le plus spectaculaire (– 10 %) concerne les unités de services maritimes (164), reflet du ralentissement de l’offshore depuis 2017.
Des signes encourageants
« On est en droit d’espérer au regard du nombre de constructions neuves à venir et du nombre de contacts », souligne Stéphane Garziano, gageant aussi sur l’effet opportuniste du Brexit.
Le chef du guichet unique du Rif au sein de la direction des Affaires maritimes était l’un des intervenants d’un « séminaire » co-organisé fin mai par Armateurs de France et le cabinet d’affaires international Gide Loyrette Nouel sur les perspectives de ce registre d’immatriculation qui doit sa raison d’être à un sursaut dans les années 2000 alors que la flotte du pavillon national atteignait son plancher (200 en 2002). Ce sursaut, « on le doit, rappelle Laurène Niamba, responsable des affaires juridiques et fiscales d’Armateurs de France,au sénateur Henri de Richemont (auteur de la proposition de loi ayant conduit à l’adoption du Rif) à l’ex-secrétaire d’État aux Transports Dominique Bussereau et à Philippe Louis-Dreyfus », qui était alors président d’Armateurs de France quand se menaient les travaux préparatoires à la création du registre.
Quel bilan tirer de 15 années d’expérience du Rif? « Il a permis une certaine protection sociale des marins, d’offrir des garanties de sécurité et de sûreté des navires, de la flexibilité dans la composition des équipages et des exonérations de charges sociales », liste François-Xavier Balme. « Une belle réussite », dit-il, mentionnant l’abonnement du RIF (sept fois ces huit dernières années) à la première place du « Memorandum of Understanding de Paris » qui classe les pavillons maritimes en fonction de critères de sécurité, de sûreté, de conditions de travail de l’équipage. Et sa distinction (2018/2019) par l’ICS (International Chamber of Shipping) pour la qualité environnementale, la sécurité des navires et le droit social.
Armes pas trop inégales
Sur le plan fiscal, il faut reconnaître que l’administration française s’est montrée généreuse, dans le grand intérêt de ses armateurs (ne parlons pas de cadeaux fiscaux, s’étranglera Jean-Marc Roué, président d’Armateurs de France, mais « d’un cadre qui permette au pavillon français de jouer à l’échelle européenne à armes pas trop inégales »).
« Force est de constater que ce n’est pas suffisant », établit Jacques Gérault, conseiller institutionnel de CMA CGM. Le fleuron tricolore s’est illustré dernièrement par le rapatriement à « la maison » de 4 navires du pavillon anglais (il y en a 44 au total) pour continuer à bénéficier du dispositif fiscal de taxe au tonnage validé par l’Europe. « En 2020, il y aura 33 navires sous Rif contre 24 aujourd’hui ». Pas sans nécessités toutefois. Rodolphe Saadé, le PDG du groupe français, avait en décembre adressé sa liste de Noël au président Macron, en lui signifiant, dans « une lettre circonstanciée », « qu’il attendait un soutien de l’État pour que son groupe puisse armer un maximum de navires sous pavillon français ».
Si le surcoût du pavillon français est bien de 700 K€ par navire, comme il se dit, « il y a encore à travailler sur les poches », estime-t-il. Au-delà d’éléments très concrets qu’il listera (cf. plus loin), Jacques Gérault suggère de compenser le handicap financier par des avantages « préférentiels » accordés « à ceux qui jouent le jeu ».
Pas adapté pour tout
« Si on commence à développer un tel système, on peut aboutir à l’exclusion de certains marchés. Il faut que nous puissions continuer à opérer dans les eaux des pays étrangers », réagit Antoine Person, secrétaire général de Louis Dreyfus Armateurs (60 navires dont 15 sous Rif; 2 000 marins dont 400 officiers sous pavillon français).
Le cas de LDA est intéressant parce qu’il illustre les raisons pour lesquelles le Rif est ou pas adapté à certains marchés. Il ne l’est pas pour le vrac: « le vrac sec est une activité malheureusement opérée depuis 2011 sous son prix de revient. Si vous avez des navires qui coûtent 1 M$ de plus que vos concurrents, ce n’est pas 1 M$ de manque à gagner mais de pertes supplémentaires ».
En revanche, le Rif colle à la réalité économique des navires de services, qui ont tous hissé le drapeau national chez LDA. Sur un câblier ou un navire sismique, la moindre panne engage parfois des millions de dollars dès la première minute. L’obligation qu’à ce navire de ne pas l’être et la qualité des équipages embarqués justifient pleinement le surcoût du pavillon et du marin français.
« Le rif est compétitif », assure Antoine Person. Il en veut pour preuve l’appel d’offres que LDA a emporté face à 17 compétiteurs pour la commande du Wind of Change, un navire de services pour la maintenance éolienne. « Nous étions le seul à ne pas avoir de track record et malgré cela et avec le pavillon français, nous avons obtenu le marché ».