Navires sans équipage: quelles responsabilités civiles?

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En termes de nature du risque, un navire sans équipage (NSE) est un navire comme les autres. Il peut causer un abordage, une pollution, s’échouer ou sombrer. Le seul risque spécifique est celui de la cybercriminalité. Il faut néanmoins nuancer cette idée, des exemples récents ayant prouvé que des hackers pouvaient pirater des systèmes informatiques de navires dotés d’un équipage. Un NSE est tout de même plus exposé, car le délai pour identifier et corriger le problème sera sûrement plus long.

S’agissant de la probabilité du risque, les NSE sont souvent présentés comme un progrès, en raison du pourcentage élevé d’accidents qui ont une origine humaine (entre 70 et 80 % selon les sources), tant et si bien que nombreux risques disparaîtraient de fait. Cet enthousiasme mérite cependant d’être tempéré. En effet, parmi les NSE, certains seront commandés depuis un poste de pilotage situé à terre. Le facteur humain, et donc le risque d’erreur, n’est alors pas exclu. De plus, en l’état de la technologie, un ordinateur, si puissant soit-il, n’a pas la même capacité d’initiative et d’improvisation qu’une personne humaine. L’habileté, l’expérience et la réactivité du capitaine et de son équipage sont des atouts que n’auront pas, au moins dans un premier temps, les NSE. En outre, la présence d’un équipage permet bien souvent de limiter la gravité du sinistre, en prenant les mesures nécessaires de sauvetage et de sécurité, que ce soit envers le navire ou la cargaison.

Qui sera le responsable?

L’armateur, en tant qu’exploitant du navire, sera toujours en première ligne mais toujours avec la possibilité d’exercer un recours contre le véritable responsable. Or, selon qu’il s’agit d’un navire piloté depuis la terre ou d’un navire autonome, de nombreux responsables peuvent être envisagés. En cas de défaillance technique, on peut envisager la responsabilité du fabricant des caméras et capteurs sonores, de celui du système de transmission de données au pilote, voire la personne en charge du pilotage à terre, ou de son commettant. Se posera alors la question de savoir si ce pilote peut être considéré comme un membre d’équipage.

S’il avère que le dommage relève d’un défaut du système informatique rendant autonome le NSE, des responsabilités multiples pourraient être recherchées: le concepteur du programme, son vendeur, le constructeur du navire (responsable de son installation à bord), l’opérateur chargé des mises à jour, etc. À l’évidence, un partage de responsabilité complexe. Le recours de l’armateur contre le concepteur ou le fabricant du système informatique connaîtra certainement une autre difficulté. Les scientifiques nous promettent des navires autonomes, dotés d’une intelligence artificielle ayant la capacité d’auto-apprentissage (deep learning). Si un tel navire, après quelques années de service, cause un dommage, l’armateur, exposé à l’action de la victime, pourrait-il se retourner contre le fabricant ou du concepteur, alors même que le système, ayant eu le temps d’apprendre et d’assimiler des données d’expérience, ne sera plus véritablement celui qui avait été conçu et fabriqué?

Quelles limites à la responsabilité?

Le principe de la limitation de responsabilité, spécifique au droit maritime, pourrait-il être affecté par la pratique des NSE?

Le NSE n’ayant pas de capitaine, l’explication fondée sur l’indépendance de ce dernier ne justifierait plus la limitation de responsabilité. Toutefois, celle-ci s’explique par de nombreuses autres considérations, qu’il s’agisse du partage des risques liés à l’expédition maritime, de la nécessité de rationaliser la dette, de l’importance économique du secteur maritime, etc. Il n’y a donc, de notre point de vue, aucune raison de refuser la limitation de responsabilité au propriétaire d’un NSE.

Sur quel régime de responsabilité l’action devrait-elle être fondée? La réponse est simple en ce qui concerne l’abordage: causé (ou subi) par un NSE, il sera soumis au droit de l’abordage. En revanche, pour les autres accidents, deux régimes, très différents, pourraient être invoqués: la responsabilité du fait des choses et celle du fait des produits défectueux. Or, ils ne retiennent ni le même délai de prescription, ni le même responsable, ni les mêmes causes d’exonération.

Sociétés de classification et assureurs, quelle position?

C’est une question fondamentale car le développement des NSE sera impossible si ces acteurs refusent de les classifier ou de les garantir.

DNV GL réfléchit depuis quelques années aux risques potentiels et aux équipements qui permettraient de les limiter. Bureau Veritas a publié fin 2017 des Guidelines for autonomous shipping établissant des recommandations relatives à la construction, l’équipement ou encore la fiabilité des navires autonomes. Il a également mis en place deux « cyber-notations » (SW Registry et SYS-COM) qui concernent les logiciels utilisés dans les systèmes embarqués et la cyber sécurité dans l’échange de données entre le navire et la terre.

Du côté des assureurs, les polices types, corps ou facultés, ne prennent évidemment pas en compte les NSE. Mais les assureurs s’y intéressant de très près, il restera à connaître leur position, en termes de montant de prime, de risques couverts et exclus, etc.

Enfin, la position des P&I Clubs est importante. Ils se préoccupent pour l’heure davantage des attaques de hackers, cyber-extorsions, infections par des virus informatiques, etc. Néanmoins, le Shipowners Club s’est emparé de la question, au point d’élaborer une police spéciale (Maritime autonomous vessel liability insurance).

Quoi qu’il en soit, si les NSE deviennent une réalité, ils mériteront bien davantage un texte international que des aménagements des droits nationaux.

*Cet article a été publié dans les Gazettes de la Chambre arbitrale maritime de Paris. Nous en avons demandé la reproduction (pour partie) car cet article éclaire sur la responsabilité afférente aux navires autonomes.

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