C’est peu de dire que son annonce était attendue. Elle fut virale. En quelques heures, plus de 16 000 vues ont été comptabilisées sur le compte LinkedIn du Journal de la Marine Marchande, créant immédiatement autour de lui un arc électrique de soutien – « bienvenue à Marseille » – de la part des milieux portuaires et maritimes. L’homme qui venait du Havre, premier port français pour le trafic conteneurisé, est donc arrivé sur les quais phocéens le 15 avril dernier au sein d’un établissement, qu’il va piloter aux côtés de Jean-Marc Forneri, reconduit à la présidence d’un conseil de surveillance dominé par des personnes qualifiées aux profils financiers.
Il « hérite » d’un port, longtemps isolé de la compétition interportuaire mondiale en raison de sa spécialisation sur les vracs liquides (porte d’entrée française du pétrole) mais qui ambitionne d’être l’alternative (au range nord-européen) du Sud de l’Europe. Sous l’effet du sens commercial « agressif » de Christine Cabau-Woerhel, « transfuge » du privé qui a regagné l’armement marseillais CMA CGM après deux intermèdes portuaires à Dunkerque et Marseille, les conteneurs ont « décollé » de 23 % depuis 2014 (1,4 MEVP).
De façon factuelle, Marseille Fos (81 Mt) empile depuis quelques années les trafics en croissance, plus forte que la moyenne européenne, arrosant tous les segments et ce, dans un contexte pourtant plutôt sensible pour lui (crise du raffinage). Les amortisseurs semblent donc en place. La purge (hydrocarbures) opère.
Ces dernières années, le dossard 118 dans la compétition mondiale, à la bonne configuration nautique (tirants d’eau élevés), à la localisation stratégique et aux infrastructures dimensionnées pour les escales des grandes lignes, a investi dans quelques opérations structurantes: élargissement de la passe Nord pour améliorer l’accessibilité aux plus grands navires; remise en état de sa méga cale sèche en friche (Forme 10) gageant sur les arrêts techniques des paquebots de croisière dont il est devenu en quelques années un des 5 premiers ports de Méditerranée (1,7 million de croisiéristes en 2018); comblement de la rotule qui sépare les deux terminaux à conteneurs de Fos opérés par Eurofos et Seayard de façon à créer un linéaire de quai continu de 2,6 km et doubler la capacité, qui doit être achevé d’ici avril 2020.
Rééquilibrage des recettes
Il échoit aussi et surtout d’une installation qui semble avoir éradiqué ses vieux démons – manque de fiabilité portuaire, instabilité sociale – pour accéder la confiance retrouvée de ses clients, chargeurs et armateurs. Le GPMM le doit à l’association de promotion de la place portuaire Via Marseille Fos (qui est « allée chercher les trafics avec les dents ») et au lobbying des représentations professionnelles particulièrement mordantes sur la place (lire la contribution de l’UMF et de ses 24 métiers portuaires et logistiques au projet stratégique du GPMM 2019-2023).
Il récupère enfin un port au chiffre d’affaires de 165,5 M€ (contre 135,6 M€ en 2014), où l’excédent brut d’exploitation est passé en cinq ans de 22 à 52 M€, la capacité d’autofinancement, de 9,8 à 43,8 M€. La dette financière s’est améliorée (173 M€ à 147 M€) mais s’est de nouveau dégradée en 2017 (139 M€ en 2017). Le GPMM a toutefois quelques peines à exécuter les investissements programmés (348 M€) dans le projet stratégique qui s’achève. Les opérations lancées totalisent 266 M€ d’engagements mais celles qui sont achevées ne représentent que 80 M€.
Hervé Martel, ingénieur des Ponts, arrive donc dans un nouveau « biotope », fort d’un bilan havrais (financier) que l’on dit aussi « solide », d’une connaissance des questions portuaires (il était dans les cabinets ministériels lors de la réforme de 2008) et d’une expérience « indéniable ».
En tant que président de l’UPF (Union des ports de France, depuis avril 2014) il a notamment fait de la fiscalité portuaire (par l’occupation des domaines) une de ses obsessions dont l’art. 35 de la loi LOM porte quelques traces.
Il pourra s’en donner à cœur joie à Marseille dans le rééquilibrage des recettes portuaires et domaniales. Il met la main sur des réserves foncières importantes (1 200 à 1 300 ha disponibles), notamment à Distriport (Fos).
Restent les grands sujets de demain: l’attractivité internationale qui dépend aussi et surtout de la profondeur de son hinterland et de ses pré-post acheminements avec des dessertes massifiées, de longue distance, de qualité et à coûts compétitifs. En ligne de mire, l’axe rhodanien, avec son potentiel de trafic de 600 000 conteneurs, de façon à « pénétrer profondément dans les terres, vers le nord, le long du Rhône et de la Saône jusqu’à Lyon », et au-delà, la suisse « l’Allemagne et voire l’Europe centrale », se plaisait à dire Christine Cabau-Woehrel.
Mauvaise humeur
Mais pour offrir la possibilité de transférer les marchandises sur les trains depuis Valence, Barcelone ou Marseille, le principal chantier à réaliser demeure le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise dans la perspective du futur ferroviaire Lyon-Turin (suspendu à une décision italienne). « Si la liaison ferroviaire Lyon-Turin se fait, sans contournement de Lyon, les trafics passeront par les ports italiens », répète l’UMF.
Parmi les dossiers qui patinent: le terminal de transport combiné rail-route a particulièrement du mal à voir le jour mais semble balisé. Quant à Fos 3XL et 4XL, l’on n’ose même plus poser la question.
Enfin, pour le nouveau directeur du GPMM, il s’agira aussi de verdir le port, pour prendre en compte la mauvaise humeur des riverains qui se disent « asphyxiés par la fumée des bateaux de croisière ». Quelques gestes ont déjà été faits dans ce sens (embranchement à quai, début de fiscalité verte).
Reste la politique tarifaire, réputée peu compétitive et « peu juste » avec des différences de niveau des droits de port à l’import et à l’export dont pâtissent certains trafics. À l’heure où de grands chargeurs (implantés) sondent différents sites européens, les coûts logistiques, y compris les droits de port, sont scrutés.
* Sollicité, Hervé Martel n’a pu nous répondre dans les délais imposés par notre bouclage mais sans pour autant refuser de se prêter à l’exercice.