Le cumul de valeurs, qui va de pair avec le gigantisme des navires, fait partie des « hantises » des assureurs. Pour assurer un ensemble de marchandises susceptibles d’être perdues en une seule fois, ils ont pris le parti de mutualiser la prise de risque. Mais avec la perspective d’un Brexit sans accord, l’accumulation de marchandises, et donc le cumul de valeurs assurées, pourrait se produire aussi sur les quais.
« On a pu percevoir l’impact récemment avec la “grève du zèle” des douaniers. Pour nous, assureurs, cela montre que le ralentissement des flux sera au rendez-vous, prévoit Régis Broudin, responsable sinistres maritimes de Allianz Global Corporate &Specialty. Il y aura donc accumulation de valeurs dans les ports, et donc un risque supplémentaire ». En effet, si les conteneurs s’accumulent dans les ports et qu’un incendie survient par exemple, le risque est grand pour les assureurs d’être confrontés à une accumulation non prévue de valeurs assurées. Ce qui est différent lorsqu’un navire perd ses cargaisons en mer car les assureurs, au vu du tonnage du bateau, peuvent anticiper et mesurer le risque et n’en souscrire qu’une partie. Or, si l’incident se produit sur une remorque stationnée dans un port, la tarification a été faite en fonction du transport routier, où il n’est prévu de perdre qu’un seul conteneur à la fois.
Guillaume Brajeux, avocat associé du cabinet HFW, spécialiste de l’assurance transport, qui avance une analyse différente: « Les ports concernés sont surtout Calais et Douvres, avec des quantités de marchandises limitées, quelques centaines ou milliers de camions suffisant à engorger ces ports, alors que le cumul de valeurs ne devient inquiétant pour les assureurs qu’à partir de plusieurs milliers de conteneurs, comme c’est le cas à bord des plus gros porte-conteneurs pour lesquels ils prévoient de ne pas dépasser des engagements raisonnables pour un seul navire. Or, en transport routier, il n’est pas possible d’anticiper le risque de cumul des valeurs assurées ».
Tracking
Le suivi des conteneurs fait consensus. S’il était généralisé, assureurs et réassureurs seraient au fait en temps réel de leur accumulation et d’ajuster leurs couvertures et protections. « Les nouvelles technologie ont amélioré l’offre en termes de capture des données, de transmission, d’analyse et de restitution aux intéressés, souligne Sylvain Gauden, directeur souscriptions marine et énergie chez Scor Global P&C. Cela étant, le système de tracking est loin d’être systématisé pour toutes les marchandises transportées et, si l’offre se développe, il n’y a pas forcément uniformisation des normes, ce qui rend son utilisation et son intégration par les assureurs et réassureurs particulièrement difficiles. Certaines sociétés développent des produits d’estimation des cumuls via des photos satellite. Les réassureurs développent aussi des modèles prédictifs estimant les accumulations ».
Le suivi des conteneurs intéresse à vrai dire du monde, les armateurs, les chargeurs, les douaniers, dans la mesure où le contrôle physique pourrait alors s’opérer hors des postes frontières. Ce qui s’avèrerait bien utile dans le contexte actuel. Encore faudrait-il pour cela qu’il soit opérationnel à date. Ce qui, de report en report du Brexit, pourrait finir par être le cas!