La « stratégie caméléonne » chinoise dans les ports ouest-africains

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Les flux d’investissements directs étrangers (IDE) de la Chine dans les infrastructures de transport et les plateformes portuaires de l’Afrique se sont considérablement accrus au cours de cette décennie. Alors que les routes et les rails constituent le maillon faible de la supply chain des marchandises dans la région subsaharienne, la Chine s’est engagée aux côtés des États africains pour financer la construction des infrastructures de transport par le biais d’accords de prêts et parfois de dons issus du Fonds chinois pour le développement de l’Afrique. De la Gambie au Cameroun en passant par la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria, chaque pays y va de sa négociation, selon ses priorités. Dans les ports maritimes, il en va différemment. Pékin agit à cet endroit, davantage en « pistonnant » la galaxie de ses entreprises (si les projets se justifient économiquement et dans leurs intérêts), qu’il s’agisse de l’armateur Cosco, dont les navires desservent certains ports de la rangée Dakar-Kribi, au manutentionnaire China Merchants Holding International (CMHI), actionnaire minoritaire de certains terminaux, en passant par China Harbour Engineering Company (CHEC), filiale de la multinationale China Communications Construction Company (CCCC), particulièrement sollicitée dans l’extension de terminaux et les travaux d’ingénierie portuaire.

Stratégie caméléonne

La cartographie de la présence chinoise dans les ports d’Afrique subsaharienne met en lumière en fait une « stratégie caméléonne » qui se solde finalement par peu de projets portuaires aboutis et/ou des montages très onéreux et insolvables quelques temps après le démarrage des travaux. Aucun terminal portuaire n’est opéré à 100 % par les compagnies chinoises dans la région malgré de foisonnantes opportunités de concession. Les groupes chinois préfèrent incontestablement la construction à la gestion et l’exploitation des terminaux. Et quand ils s’impliquent, c’est dans l’ombre de groupes européens (Bolloré Logistics, CMA CGM, etc.) comme à Abidjan, à Kribi, à Banjul, à Tema pour le terminal GNL ou à Lekki au Nigeria.

Est-ce un choix stratégique pour ne pas froisser les partenaires européens historiquement présents sur cette façade? Ou la preuve d’un désintérêt de Pékin pour les installations portuaires de cette région?

Il est certain que la Chine préfère les environnements harmonisés dans lesquels les barrières frontalières des États peuvent être contournées facilement afin de s’assurer que l’implantation des grands projets d’infrastructure garantisse la fluidité d’écoulement des produits manufacturiers et le rapatriement des matières premières. C’est d’ailleurs cette harmonisation à la fois géopolitique et économique des États qui a permis à l’Europe de l’Est et du Centre de jouir de l’implantation d’infrastructures de transport modernes dans le cadre des nouvelles routes de la soie. C’est ce même préalable pragmatique que les pays de la COMESA (Marché commun d’Afrique orientale et australe) ont solidement établi pour susciter l’engouement chinois à financer les liaisons ferroviaires Tanzanie-Zambie-Rwanda, Éthiopie-Kenya ou la construction des nouveaux ports (Bagamoyo en Tanzanie, Lamu au kenya, Nacala et Beira en Mozambique). En Afrique de l’ouest, l’absence des liaisons ferroviaires, le coût élevé des liaisons aériennes intra régionales, le manque d’autoroutes interconnectées et surtout l’incohérence des programmes de développement des États accrochés à leur souveraineté, contrarient les méthodes planificatrices de la Chine.

Réserves financières mais…

Tirant leçon des échecs et des gaspillages observés dans certains projets internationaux, Pékin exige de ses entreprises, rationalisation et canalisation des investissements. Avec les énormes ressources minières dans le sous-sol ouest africain et sa démographie, nul doute qu’il ait vu dans cette région une destination de choix pour des partenariats gagnant-gagnant. Mais tant que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’aura pas un poids institutionnel conséquent et un contenu qui fédère les ambitions de ses États membres, la Chine ne prendra pas le risque d’investir dans les projets portuaires dépassant les limites d’un État. Or, la rentabilité d’un investissement portuaire exige un minimum de trafic, un marché et des corridors.

En prenant individuellement les États de la Communauté, seul le Nigeria remplit les critères d’investissement portuaire de la Chine. Ce n’est donc pas un hasard si CHEC engloutit plus de 2,7 M$ à Lekki, avec l’ambition d’en faire la plus grande plateforme industrialo-portuaire de l’Afrique de l’Ouest en combinant le trio Badagry-Lekki-Ibaka. Cet immense projet portuaire est d’ailleurs l’un des rares de la sous-région qui retienne l’attention de Li Keqiang, premier Ministre chinois et président du haut conseil d’État, organe stratégique et décisionnel de la Chine.

Pays de 200 millions d’habitants, producteur du pétrole, regorgeant de ressources minières, le géant nigérian est la première porte d’entrée à l’ouest des produits de la CEMAC et de la COMESA, position particulièrement intéressante dans la perspective d’intégrer l’espace CEDEAO aux nouvelles routes de la soie via la construction de la liaison ferrée Mombasa-Lagos.

Un tel raccordement ferroviaire de l’Est à l’Ouest du continent reconfigurera la carte portuaire africaine en réduisant la distance entre la Chine et la région subsaharienne. Les navires gagneront une dizaine de jours en délaissant le reste du trajet aux trains entre le Kenya et le Nigeria. Ceci aura des répercussions importantes sur l’avenir des ports de l’ouest nigérian, de Cotonou à Lomé jusqu’à Dakar. En attendant que la paix revienne totalement au Nord du Nigeria pour justifier la pertinence de ce projet multidimensionnel et multimodal de la Chine, les ports ouest-africains continueront leur modernité égocentrique pour répondre au gigantisme des navires et à la révolution digitale.

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