L’État semble rencontrer quelques difficultés à renouveler les directions de ses Grands Ports maritimes, dont les mandats parviennent à échéance en Métropole. Serait-ce symptomatique de quelques failles du système?
Paul Tourret: La presse témoigne en effet du fait que le renouvellement s’avère complexe. Il y aurait comme un problème de stock. Comment un grand État administratif peut-il peiner autant à organiser son roulement pour une poignée de postes? Le bon sens et la connaissance des ports voudraient que les Grands Ports maritimes (GPM) se dotent formellement d’un directeur général et d’un adjoint, avec des missions précises. Et un passage dans le privé de ces techniciens, balisé par l’État, serait une bonne idée.
La réforme portuaire n’a-t-elle pas trop fait de la gouvernance un élément central de la stratégie des ports d’État?
P.T.: Le dossier Haropa, l’éventuel destin de Nantes-Saint-Nazaire et maintenant la question du renouvellement renvoient toujours en France sur la gouvernance et le rôle de l’État. Ce n’est pourtant pas l’élément le plus important de la réforme portuaire de 2008, mais les questions « politiques » passionnent les Français… Le principal apport a été le transfert de la manutention au privé, capital pour lutter à armes égales avec les autres pays européens. Sinon, le fonctionnement de l’autorité portuaire n’a pas fondamentalement changé à l’occasion du passage de ports autonomes en GPM. Schématiquement, dans l’organisation du conseil de surveillance, on a supprimé les représentants du privé mais préservé les collectivités territoriales, les syndicats et des personnalités qualifiées. Le secteur privé est devenu un des acteurs du conseil de développement, bonne instance de débat portuaire touchant au projet stratégique et à divers développements. La Commission des investissements portuaires est, elle, une sorte de garde-fou, assuré par deux collèges d’investisseurs, public et privé.
Cette organisation était-elle la meilleure idée si on se compare à d’autres modèles portuaires: où mettre les curseurs entre le public et le privé?
P.T.: Avec des « si » et en se comparant avec les autres pays, on pourrait imaginer bien d’autres choses en effet, par exemple un simple conseil d’administration restreint aux autorités publiques (représentants de l’État, ministère des Transports et de l’Économie) et aux collectivités territoriales. Il validerait la haute direction du port et les décisions stratégiques. On pourrait même se passer du conseil d’administration, comme en Italie, où le comité portuaire ressemble à notre conseil de développement. Les ports espagnols ont un conseil s’apparentant, au modèle français (territoires, CCI, syndicats), mais avec en outre un représentant de la manutention. Les conseils d’administration des ports canadiens, de compétence fédérale, vont bien plus loin: ils ont des représentants des territoires et de l’État mais aussi des membres désignés parmi les utilisateurs portuaires. La place du privé peut faire débat, mais pas celle des territoires. La co-gouvernance État-collectivités doit être la norme.
Certaines régions demandent aujourd’hui un élargissement de leurs compétences en matière portuaire. La Loi NOTRe, promulguée en 2015, offre déjà cette possibilité.
P.T.: En France, c’est une gouvernance à la carte! La décentralisation de 2004 et la loi NOTRe n’ont pas aidé. Les anciens ports d’intérêt national sont devenus d’intérêt locaux (régions, départements, agglomérations) avec des variables telles que chaque port est un cas spécifique! Ne parlons pas de la création d’une autorité portuaire, qui n’existe vraiment qu’à Sète et Calais-Boulogne. Quelle place pour les régions dans les GPM? La Normandie et l’Île-de-France sont désormais concernées par la transformation en établissement portuaire unique de Haropa. Au moins, trois régions – la Normandie, la Nouvelle-Aquitaine et les Hauts-de-France – sont à la barre de leurs ports décentralisés et s’impliquent dans les GPM. Pour ces régions, la cohérence entre les deux types de ports est une évidence car il est possible d’y développer une politique de façade régionale. L’État a invité les Pays de la Loire à prendre en main son destin: la co-gouvernance pour Nantes-Saint-Nazaire serait une bonne formule.
Quant à Paca, son engagement n’est pas essentiel pour Marseille-Fos mais, dans le cadre d’une stratégie par grands axes, elle a son rôle à jouer.
Quels sont les écueils à éviter dans le cadre des regroupements portuaires?
P.T.: La fusion du Havre et de Rouen, ports voisins s’enchâssant dans l’axe fluvial d’une mégalopole européenne, au sein d’une même autorité portuaire, semble logique mais bien tardive. Certes, les particularismes sont indéniables mais sont-ils plus importants que des mariages portuaires belgo-néerlandais ou suédo-danois. L’intégration du port de Paris et sera une exception mondiale car il n’existe pas de cas où un port fluvial très en amont soit intégré à des ports maritimes. Mais si l’axe Seine doit être une réalité ambitieuse, autant que cela soit dans une autorité portuaire fusionnée.
En Méditerranée, la coordination portuaire ne pose sans doute pas de problèmes entre GPM et ports territoriaux (Sète, Toulon) du fait de leurs niches de spécialités. Le duo nordiste Calais-Dunkerque est aussi complémentaire. Plus délicat est la cohérence le long de la façade atlantique. Finalement, le degré de concurrence est relatif (quelques zones céréalières) et chacun a son hinterland vers l’Est. La conteneurisation et la croisière sont des terrains de prospection collective.
Manifestement, dans certains ports dits secondaires, les investissements vont bon train. À faire douter quand on voit les peines financières des GPM…
P.T.: La région Bretagne aligne 220 M€ pour le polder, la région Occitanie 200 M€ à Port-la-Nouvelle… On peut discuter de l’opportunité des travaux, mais pas du volontarisme des régions. En comparaison, Port 2000 au Havre touche à sa fin. Quid de Fos 4XL à Marseille? Seul Dunkerque porte un Cap 2020 ambitieux. Néanmoins, la question ne se situe pas tant dans les infrastructures que dans la mise en réseaux des hinterland. Si l’on veut reprendre à Anvers nos arrière-ports, il faut des zones logistiques et de l’intermodalité. Et à cet égard, la gouvernance a son importance, au niveau de chaque port, mais aussi au niveau national. On peut imaginer une structure comme en Espagne (Puertos del Estado, qui fédère 28 autorités portuaires, NDLR). Faisons le pari d’une gouvernance portuaire dynamique. Les acteurs attendent de l’agressivité commerciale. Et les batailles ne manquent pas: conteneur, Brexit, mutations industrielles, transition énergétique…