« La déprime règne », ont commenté ces derniers jours les analystes du Baltic Briefing, à la lumière de ce qu’il se passe sur des marchés affolés. Les différents indices phare du secteur maritime compilant les prix pratiqués sur les principales routes maritimes, selon les catégories de marchandises, ont dansé la gigue dans des directions opposées. Le Baltic Dry Index (BDI), indice de référence pour le transport du vrac sec (minerais, charbon, métaux, céréales, etc.), ne connaissait aucun répit alors qu’il avait déjà connu en 2018 des moments de grande déprime et d’extrême volatilité. Le vrac sec polarise toutes les attentions car il est l’une des deux principales sources de flux du commerce maritime mondial, jusqu’à représenter près de 50 % des 10,7 milliards de tonnes transportés en 2017 (les données de 2018 n’étant pas toutes disponibles à ce stade). Cette année-là l’avait extrait de la morosité en lui offrant une croissance de 4,4 % (2 % en 2016) et les fondamentaux du marché s’étaient nettement améliorés, les armateurs et propriétaires de flotte ayant actionné l’arme de destruction massive qu’est l’envoi à la casse pour équilibrer le marché. En conséquence, le Baltic Dry Index avait retrouvé des couleurs et le bénéfice moyen avait augmenté dans tous les segments de flotte, s’établissant à 10 986 $ par jour, en hausse de 77 % par rapport aux niveaux déprimés de 2016 (selon Clarksons).
Le vrac sec, pilier du transport
Pour les observateurs du marché, il existe actuellement une « multitude d’incertitudes majeures » pour ses perspectives commerciales à court terme. Si les États-Unis et la Chine ont convenu de mettre en sommeil leur « taxopathologie » jusqu’en mars, les propriétaires de capesize et de panamax ne peuvent pas vraiment se détendre. La rupture de la digue de la mine de Corrego do Feijao du géant minier brésilien Vale fut une nouvelle dague. L’arrêt de production du premier chargeur mondial de vrac fait craindre pour le « méga-moteur » traditionnel que sont les importations chinoises de minerai de fer. La Chine importe en effet 21 % de ses besoins du Brésil, une route gourmande en tonnes-milles et donc alléchante pour les capesize, mais que l’arrêt de production pourrait envoyer au repos. Les stocks élevés de minerai de fer en Chine font peser une autre menace sur la demande de vraquiers, alors que le marché peine déjà à juguler l’excédent d’offre. L’an dernier, les importations chinoises de minerai de fer ont décliné de 1,8 % alors même que la production d’acier du pays a augmenté à un rythme soutenu, les aciéries chinois préférant puiser dans les stocks portuaires, pourtant inventoriés à un niveau bas. Les tensions commerciales persistantes pourraient les encourager à faire de même en 2019. En outre, l’ouverture de nouvelles unités « plus efficaces dans leur rendement », consécutives à la modernisation des équipements entreprise par la Chine en 2016 ne devrait pas profiter au transport maritime car les fours électriques à arc nécessitent moins de minerai de fer et de charbon à coke. Le courtier maritime Simpson Spence Young a d’ailleurs revu à la baisse ses prévisions concernant le commerce de vrac sec en 2019, gageant sur une croissance de 2 %, la plus faible depuis 2015.
La pluie et le beau temps
2018 fut plus « sympathique » avec le charbon, que les exportations américaines durant le premier semestre (+ 31 %) avaient mis sous amphétamines. Sur les 9 premiers mois de l’année, le marché était dynamique, soutenu par une augmentation des importations chinoises et indiennes, de 7 et 6 % respectivement. L’Asie, et notamment la Chine, fait aussi la pluie et le beau temps sur les céréales. Les restrictions commerciales changent la donne mais si, dans l’immédiat, les fournisseurs sud-américains de soja profitent des tensions entre Pékin et Washington, les observateurs n’y voient pas d’issue à échéance plus lointaine. En attendant, le changement de fournisseurs et de routes a un effet positif involontaire sur les tonnes-milles générées.
Épouvante pétrolière
Sans surprise, le marché des pétroliers aligne les années épouvantables, en lien avec la surcapacité qui envoie les taux de fret à des niveaux « exceptionnellement » bas, parmi les records historiques des 20 dernières années (11 655 $ par jour en 2017). En 2018, en envoyant « à la ferraille » plus de 150 pétroliers de plus de 25 000 tpl et en reportant plus de 25 % du carnet de commandes d’après les données de Gibson, les transporteurs de brut ont apporté un certain soulagement au marché. Les vents restent obliques en 2019 mais certains gagent sur la distribution de carburants conformes à l’OMI 2020 pour rebondir. Les VLCC portent tous les espoirs. Drewry estime notamment que l’augmentation prévue de la production américaine se traduira par une augmentation des exportations vers l’Asie, ce qui stimulera la demande en tonnes-milles pour les grands transporteurs de brut, ajoutant que les récentes sanctions américaines contre le Venezuela (premier fournisseur de brut des États-Unis avec 500 000 barils/jour entre janvier et octobre 2018) pourraient convertir la demande en tonnes-milles à courte distance (États-Unis-Venezuela) en « long-courrier » (provenance Moyen-Orient). Quant au GNL, la demande est en large partie soutenue par l’agenda environnemental. En outre, l’expansion continue de la capacité de regazéification en Chine et le développement des installations flottantes de type FSRU sont en train de reconfigurer certains échanges.
Réveillé en 2017, le marché du conteneur, marqué par la montée des méga-alliances, doit régler sa problématique sur la route Asie-Europe du Nord, où la faible croissance (1,5 % selon des données provisoires) oblige les transporteurs à déplacer leurs gros navires sur d’autres axes ou à faire preuve de créativité pour soutenir des liaisons directes et les taux de fret, y compris par des retraits de service (nombreux en 2018) et des « voyages à vide ». La demande en berne en 2019, les transporteurs auront une nouvelle fois l’énorme tâche d’éponger les excès d’EVP qui affluent par milliers.