« Les ports sont des infrastructures essentielles pour la croissance économique et le développement régional. C’est la raison pour laquelle les règles de l’UE en matière d’aides d’État laissent une grande marge de manœuvre aux États membres pour les soutenir et y investir. Dans le même temps, pour garantir une concurrence équitable dans toute l’UE, les ports tirant un bénéfice d’activités économiques devraient être imposés de la même manière que les autres entreprises, ni plus ni moins. » Ainsi se justifiait Margrethe Vestager, commissaire chargée de la politique de concurrence, dans un communiqué en date de début janvier annonçant que l’Italie et l’Espagne avaient été « invités » à mettre fin aux exemptions de l’impôt sur les sociétés (IS) dont bénéficient leurs ports.
Les Pays-Bas, la Belgique et la France avaient été soumis auparavant aux mêmes injonctions. L’UE estime que les régimes fiscaux qui exonèrent les ports de l’IS leur confèrent un avantage susceptible de constituer une violation des règles de l’UE en matière d’aides d’État.
Pour rappel, en Italie, les ports bénéficient d’un abattement total de l’IS. En Espagne, ils sont affranchis de l’IS sur leurs principales sources de revenus, notamment les redevances portuaires ou les revenus tirés des contrats de location ou de concession. Mais au Pays basque, l’abattement porte sur l’intégralité des revenus. Pour l’heure, les places portuaires espagnoles et italiennes, sondées par nos soins, restent économes en réactions. Suivant les recommandations de l’UE, elles devraient être imposables dès le 1er janvier 2020.
Les deux pays méditerranéens disposent d’un délai de deux mois pour réagir. S’ils refusent, la Commission pourra alors conduire une enquête approfondie pour vérifier la compatibilité de l’aide existante. Si elle conclut que le régime est incompatible avec les règles de l’UE en matière d’aides d’État, elle peut les assigner à y mettre fin. L’Italie et l’Espagne ne sont pas les derniers dans le collimateur de Bruxelles. Dans le cadre de sa politique d’harmonisation de la fiscalité portuaire, la Commission poursuit son enquête auprès d’autres États membres, dont on ne sait rien.
Modèle économique mis à mal
Depuis que la France a été assignée à imposer fiscalement ses ports – au même niveau qu’une entreprise commerciale (33 % donc) – le sujet fait débat, avec en toile de fond, les relations financières entre l’État, les collectivités locales et les ports, du fait même de la spécificité de leur statut. « Le fait d’être imposé à l’IS, voire à la taxe foncière, dans des conditions qui restent encore à définir, met à mal le modèle économique de nos ports. On parle potentiellement de plusieurs dizaines de millions d’euros », expliquait Hervé Martel, directeur général du Grand port maritime du Havre dans un débat organisé en fin d’année au Sénat sur la compétitivité portuaire. « Nos ports sont désormais en droit européen des entreprises fiscalisées mais en plus, ils sont des outils au service de l’État pour exercer des missions régaliennes (équipements liés a` la sécurité et a` la sûreté, dépenses liées a` la gestion d’espaces pour des raisons environnementales, etc.) qui chez nos concurrents sont pris en charge totalement ou partiellement par des pouvoirs publics ou par les autorités locales. Nos recettes s’amenuisant, la fiscalité s’alourdissant, ce n’est pas tenable », expliquait-il pour justifier que la réflexion sur le futur modèle économique des ports ne pouvait pas faire l’impasse sur les dispositions fiscales.
Aux inquiétudes portuaires, le gouvernement y a en partie répondu à l’occasion d’un CIMer à Dunkerque en fin d’année dernière. « Nous allons stabiliser le régime fiscal des ports pour compenser la fin de l’exonération de l’IS », avait en effet annoncé Édouard Philippe, promettant une doctrine fiscale claire, et notamment une liste des biens immobiliers non productifs de revenus exonérés de taxe foncière. En parallèle, un amendement gouvernemental au PLF 2019 devrait élargir l’exonération aux biens créés ou acquis par les GPM après 2008. En outre, le premier Ministre s’est engagé à compenser intégralement les taxes de dragage et à couvrir les charges régaliennes jusqu’à 75 %. Les directions portuaires attendent aussi des gestes (une révision) sur les dividendes prélevés.
Pas les mêmes caisses
Lors du débat sur la compétitivité, la fiscalité portuaire avait fait l’objet d’un ping-pong verbal entre Michel Vaspart, qui préside le groupe d’études « Mer et littoral » au Sénat, et Hervé Martel. Le premier de préciser: « Oui la taxe foncière sera une charge fixe pour vous et il faudra voir comment négocier avec l’État pour qu’elle soit le moins impactant possible. En revanche, pour atténuer l’IS, vous pouvez jouer sur les amortissements, tout dépendra de vos investissements »
« Vous avez raison: ce ne sont pas les mêmes bénéficiaires, l’un va dans les caisses des collectivités, l’autre dans celle de l’État! avait rétorqué le second, dans la plupart des cas, la taxe foncière peut être refacturée aux entreprises privées qui occupent le domaine, ce qui peut avoir un impact direct sur leur compétitivité, voire leur viabilité. L’impôt sur les sociétés dépend en effet du résultat, et donc de la stratégie d’investissement. D’ailleurs, la principale disposition envisagée pour faciliter l’adaptation est d’autoriser l’adoption d’un nouveau bilan d’ouverture qui permet de réévaluer certains actifs et donc d’augmenter les amortissements, ce qui réduirait la base de calcul de l’impôt sur les sociétés ».
La suppression des avantages fiscaux injustifiés ne signifie pas que les ports ne peuvent plus recevoir de soutien de l’État, rappelle encore la CE dans son communiqué. « À la suite de l’extension par la Commission du règlement général d’exemption par catégorie aux investissements non problématiques dans les ports, les États membres peuvent désormais investir jusqu’à 150 M€ dans des ports maritimes et jusqu’à 50 M€ dans des ports intérieurs. Le règlement permet aux pouvoirs publics, par exemple, de prendre en charge les coûts de dragage des ports et des voies navigables d’accès. De plus, les règles de l’UE permettent aux États membres d’indemniser les ports pour le coût des tâches de service public qu’ils assurent ».