C’est un mot qui tient en 6 lettres. Brexit. Sans le « x », il ne rapporterait pas grand-chose au scrabble si tant est que le mot soit valide car il ne contient aucune anagramme, aucun lipogramme, aucune épenthèse… Néanmoins il tient en haleine une grande partie des ports compris entre Dunkerque et Brest, certes des grands ports d’État mais aussi ceux qui relèvent de la responsabilité des collectivités et pour lesquels l’activité transmanche est fondamentale. Et pour cause, le trafic entre la France et le Royaume-Uni est estimé à 75 Mt et à 2,8 millions de poids lourds, dont 64 % assurés par Calais et 23 % par Dunkerque, le reste passant par la Bretagne, selon la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Les modalités d’association entre l’UE et le Royaume-Uni ne sont toujours pas déterminées après des mois de palabres, mais les acteurs concernés ont « l’arme au pied », dans l’attente « de voir ce à quoi on va être confrontés ». Les mots sont de Jean-Marc Roué, à la tête d’une compagnie – Brittany Ferries – qui a beaucoup à perdre, 85 % de sa clientèle étant britannique. Mais le président d’Armateurs de France révèle aussi un sentiment commun. Le marché transmanche – principal point de passage entre le continent et l’île – retient son souffle. Son devenir est conditionné à une signature. Les transporteurs « transmanche », excepté Brittany Ferries, préfèrent ne plus répondre aux questions, « ne sachant pas ». Les ports français concernés récitent la litanie des impacts désormais bien identifiés. C’est sans doute la chose la plus avérée pour l’heure: le business ne sera plus « as usual ». « Il n’est pas impossible que le Royaume-Uni devienne un pays tiers comme le Zimbabwe », appuie Hervé Martel, président de l’Union des ports de France, dans une formule-choc mais qui n’en est pas moins conforme aux règles de l’OMC. Exit aussi les acquis de fluidité, du moins dans un premier temps, avec le grand retour d’une frontière extérieure dont on avait oublié ce qu’elle signifiait depuis la création du marché unique – passage douanier, contrôles vétérinaires et phytosanitaires avec son lot de contingences administratives – et ce que cela supposait en termes d’allongement du « temps portuaire », de pression sur les espaces avec des aires de stockage des véhicules et des remorques, de désorganisation des chaînes logistiques, d’augmentation des coûts de l’import/export, etc. « Nous avons besoin d’augmenter l’effort européen de préparation au Brexit qui n’est pas à la hauteur de l’enjeu », expliquait début décembre, la présidente de la Commission Transports du Parlement européen, Karima Delli, à l’occasion de la présentation d’un rapport proposant de nouvelles mesures financières pour aider les ports les plus impactés. En attendant, les coups pleuvent sur la locataire du 10 Downing Street. Le gouvernement français se dit, lui, prêt à affronter le raz-de-marée avec « 200 mesures » prêtes à l’emploi, assurait le Premier ministre, Édouard Philippe, à l’occasion du CIMer à Dunkerque en novembre. Une « ordonnance Brexit » permettra de compresser tous les délais d’instruction de façon à obtenir rapidement les autorisations pour aménager tout ou partie du territoire. Et ainsi avoir les infrastructures opérationnelles au 30 mars. Un calendrier dont doute Jean-Marc Roué qui a, à nouveau, sonné l’alarme à l’occasion d’une table ronde au Sénat fin décembre.
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La dynamique, sous séquestre
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