L’Histoire se chargera de ratifier mais d’ores et déjà il y a quelque chose de cocasse à voir l’ancienne friche industrielle, foyer de résistance ouvrière pendant de longues années, devenir une « adresse » où les plus riches de ce monde envoient leurs résidences flottantes. Il fut pourtant un temps question de poser une marina sur les ruines du défunt Normed*. Mais c’est finalement l’ambition industrielle qui emporta les décisions avec pour horizon: s’imposer en spot mondial de maintenance et de réparation des yachts.
Aujourd’hui, sur 44 ha et 1 600 m de quais, le chantier ciotaden accueillerait chaque année une centaine de palaces de plus de 50 m, soit environ 1/7e de la flotte mondiale. « Nous disposons d’un ascenseur à bateaux de 2 000 t qui permet de travailler à sec sur des yachts jusqu’à 80 m et une grande forme de radoub capable de traiter des navires allant jusqu’à 200 m », recense La Ciotat Shipyards, société publique locale (SPL) créée en 1995 pour gérer le site, avec pour actionnaires le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône (50 %), la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (25,8 %), la métropole d’Aix-Marseille-Provence (19,9 %) et la ville de La Ciotat (4,3 %).
Depuis sa reconversion sur le yachting en 1994, une centaine de millions d’euros publics et privés ont été investis et « non gaspillés », aiment dire ses promoteurs. Le site accueille une trentaine d’entreprises qui emploient 700 personnes environ. Parmi elles, Monaco Marine et l’ex-Compositeworks (fondu depuis dans MB92), qui a accueilli 11 yachts d’une taille moyenne de 87 m en 2017. Les « frères ennemis » sont les deux principaux maîtres d’œuvre de la renaissance. Positionnés sur les mêmes marchés, ils ont contribué à structurer in situ une sous-traitance de qualité et sont eux-mêmes devenus des acteurs de poids au niveau mondial dans le refit de yachting.
L’étape d’après ou le coup d’avance?
Cela fait quelques années que les entreprises du site saturent l’outil. Cette pénurie de place, les plus anciens se souviennent qu’elle avait déjà fait échouer le projet d’International Marine Service (IMS).
C’est pour y remédier que La Ciotat Shipyards a investi 15,8 M€ pour réaménager sa grande forme – un bassin de 335 m de long, 60 m de large et 9 m de profondeur – dont 4,5 M€ pour un bateau-porte à 200 m du fond. L’opération permet notamment de dégager, pendant les passages en forme, plus de 130 m de linéaire de quai. C’est l’allemand Blohm+Voss qui a été retenu à l’issue de l’appel à projets pour une occupation initialement de 35 mois, excluant de fait les deux opérateurs historiques de La Ciotat.
Depuis l’inauguration de la grande forme en avril 2017, l’écosystème a fait l’objet d’un véritable ball-trap. Blohm+Voss a été racheté par le constructeur de yachts Lürssen, héritant ainsi de La Ciotat, dont il confia la gestion commerciale à son partenaire historique, l’espagnol Marina Barcelona 92 (MB92), contrôlé par le turc Dogus, leader mondial dans la maintenance des yachts de grande taille. Le Barcelonais va finalement reprendre l’affaire. Et en énième rebondissement d’une saga qui a duré quasiment un an, MB92 et Compositeworks annonçaient leur fusion (le premier reprenant 75 % des parts du second). L’ensemble rebaptisé MB92 La Ciotat, une filiale à 100 % de MB92, dispose d’une concession écourtée, jusqu’en avril 2019. Monaco Marine a déjà dit qu’elle se positionnerait à l’occasion du renouvellement de la concession alors qu’elle vient de lâcher La Ciotat pour Marseille (cf.p. 34). Dans toute cette affaire, une victime collatérale: La Rochelle (cf. ci-contre).
C’est ce nouvel attelage qui a décroché en septembre l’exploitation du futur ascenseur de 4 000 tonnes, outil à controverse qui doit permettre aux chantiers navals de La Ciotat de franchir une nouvelle étape, expliquent les actionnaires de La Ciotat Shipyard. Après avoir réussi le premier pari de se positionner sur les yachts de 40 à 80 m, ils gagent sur les plus de 80 m.
* De 1948 à 1987, date de sa fermeture, 207 navires seront sortis des cales des Chantiers navals de La Ciotat.