Comment évolue aujourd’hui le marché du transmanche?
Jean-Marc Roué: Depuis l’entrée du Royaume-Uni dans le marché commun, nous observons une belle évolution avec des volumes impressionnants: 25 millions de passagers et 4,8 millions de camions. Mais sur le marché passagers, l’évolution est plutôt plate. Les choses se sont stabilisées depuis quelques années, en lien avec la crise de 2008 et avec la disparition du duty free. Le fret, lui, n’a cessé de progresser jusqu’au printemps dernier où la courbe s’est stoppée net puis s’est inversée. Les effets du Brexit se font sentir. L’économie britannique patine. Le pays consomme moins de matières premières et il exporte moins. Le flux transmanche est aujourd’hui en faveur des exportations du continent vers le Royaume-Uni. Nous pensons que l’inflexion du transport de véhicules industriels va se poursuivre pour plusieurs raisons. Il va être plus difficile de desservir le Royaume-Uni dans de bonnes conditions si aucun accord n’est trouvé. Pour le trafic passager, tout va dépendre de la réaction du touriste britannique. Va-t-il toujours se rendre en zone euro avec un pouvoir d’achat alors amputé de 25 %? Et c’est déjà une réalité car la livre s’est déjà dépréciée de 25 %. Il va falloir rassurer et convaincre les Britanniques, notamment en usant de nos moyens de communication. Notre part de marché est en jeu. Quant à l’évolution globale des choses, je ne suis pas devin mais il est clair que cela va complexifier les choses. Une chose est certaine, depuis 1986, date d’ouverture de notre ligne sur Caen-Ouistreham, le fret a été multiplié par huit de Dunkerque à Roscoff. Le Brexit risque de stopper ce marché traditionnellement très fluide. Selon les autorités françaises et européennes, il ne faut pas s’attendre à un statu quo. Il y aura une procédure à remplir pour pouvoir entrer et sortir de l’espace européen.
Quel est le programme d’investissement de Brittany Ferries?
J.-M. R: L’étape du Honfleur est importante puisqu’il s’agit aujourd’hui du lancement du premier navire français de transport de passagers à fonctionner au GNL. Sa livraison sur la ligne Caen-Ouistreham-Portsmouth est prévue pour l’été 2019. Il s’agit d’un navire de 187 m avec une capacité de 1 680 passagers, 550 voitures et 64 remorques. Nous avons deux autres projets de ferries affrétés auprès de Stella Line, Galicia et Salamanca, qui vont être construits dans les chantiers chinois Avic Weihai. Ces navires de 214 m de long et d’une capacité de 1 000 passagers auront plus de 3 000 m de linéaires pour le fret. Ils seront exploités entre la Grande-Bretagne et l’Espagne. Le Brexit, la baisse de la livre sterling, nos futures conditions d’exploitation, tout cela nous contraint un peu. Nous sommes en situation d’attente. Il nous faudra aussi remplacer le Bretagne, le navire le plus ancien de la flotte puisqu’il aura 30 ans en 2019. Il s’agit du projet Bretagne 2.
Vos prochains navires seront-ils tous propulsés au GNL?
J.-M. R: Oui, à l’exception du Galicia. Stella Line, qui porte le projet, a souhaité le maintenir avec une propulsion classique. Par contre, il sera équipé d’un système de filtrage de fumée novateur. Le Galicia devrait être livré en novembre 2020. Et le Salamanca, en novembre 2021. Nous menons également des études sur la propulsion à hydrogène.
Vous avez également lancé une nouvelle politique commerciale? Quelles sont ses orientations?
J.-M. R: Elle s’inscrit dans le prolongement de notre stratégie qui se fait de plus en plus visible avec un nouveau logo et une nouvelle approche commerciale. Avec le Honfleur par exemple, nous manifestons publiquement notre volonté de réduire l’impact environnemental. Nous sommes sur un projet d’entreprise « smart » qui consiste à nous adapter à la numérisation pour rendre un meilleur service aux clients mais aussi être force de propositions pendant le voyage de nos passagers, mais pas seulement. Concrètement, par le biais de notre site web, il s’agit d’offrir à nos clients la possibilité de réserver des animations, visiter des musées, acheter des pass pour des manifestations culturelles. Le but est d’être le plus interactif possible.
Quelles sont les lignes phare de votre activité? Qu’envisagez-vous?
J.-M. R: La ligne la plus génératrice de trafic, que ce soit en fret ou en passagers, reste Caen-Ouistreham-Portsmouth. Elle représente 900 000 passagers et un peu moins de 100 000 camions. Les liaisons entre l’Angleterre et l’Espagne fonctionnent également très bien. Elles représentent notre deuxième plus gros volume d’activité, notamment les rotations vers Bilbao et Santander sur lesquelles dépassons les 350 000 passagers. En 2007, ils n’étaient que 75 000. Le Honfleur sera positionné à Caen-Ouistreham cet été. Le Normandie opérera entre Le Havre et Portsmouth. Il remplacera l’Étretat. Le Havre nous permet d’être connecté à l’axe Seine. Il est un hinterland à lui tout seul. Nous allons y préserver nos moyens mais sans doute pas les augmenter dans l’immédiat. Le Normandie, beaucoup plus grand que l’Étretat, reste un challenge pour Le Havre. En avril 2020, notre contrat d’affrètement du Baie de Seine avec DFDS parviendra à ses termes. Il sera relayé par l’Étretat sur la ligne Portsmouth-Bilbao. Au Havre, nous avons des marges de progrès sur le trafic passagers. Pour le fret, il ne faudra pas s’attendre à une évolution positive compte tenu du contexte actuel lié au Brexit. Les gros volumes resteront sur Calais-Douvres ou Dunkerque-Douvres. Maintenir nos capacités sera déjà une satisfaction.
Brittany Ferries
2 400 salariés, premiers employeur de marins français
Une flotte de 11 navires
Un chiffre d’affaires de 450 M€
Trafic de 2,6 millions de passagers par an dont 85 % de Britanniques
Trafic fret de 900 000 voitures et 211 000 camions
11 ports maritimes sont desservis entre la France, le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Espagne
Présence à Roscoff, Saint-Malo, Cherbourg, Caen-Ouistreham, Le Havre, Portsmouth, Poole, Plymouth, Cork, Bilbao et Santander
Retombées économiques indirectes estimées à 14,5 millions de nuitées en Europe dont 9,4 m€ en France.