« Le premier critère de choix d’un mode de transport est la fiabilité »

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Quels sont les enjeux des transports terrestres massifiés pour les ports maritimes français?

Christian Rose: Grâce aux modes massifiés, les ports vont pouvoir développer leur attractivité. Avec la course au gigantisme des navires et la mise en place des alliances maritimes, on est passé dans une autre dimension. Elles ont pour conséquences de rationaliser leurs escales mais tout en augmentant le nombre de conteneurs déchargés à chaque touchée. Si l’on veut que les porte-conteneurs continuent à s’arrêter dans les ports maritimes français, et surtout dans les trois plus grands, il faut des transports fluviaux et ferroviaires performants. Sinon, ils perdront des parts de marché, notamment Le Havre et Dunkerque, frontalement concurrencés à ce niveau par leurs voisins nord-européens. Marseille préserve mieux son périmètre par rapport à ses voisines du Sud, Barcelone ou Gênes, car il est moins challengé sur ce plan, étant mieux doté.

La situation du fer et du fluvial est-elle aujourd’hui satisfaisante dans les ports français?

C.R.: La part modale des modes massifiés paraît faible au niveau national, avec par exemple 3 % environ pour le fluvial. Mais si l’on examine la situation par bassin de navigation, qui est l’échelon pertinent, on s’aperçoit que Le Havre utilise le fluvial à plus de 20 % pour les destinations du bassin de la Seine. La part modale du ferroviaire y est bien moindre, en raison de la concurrence du transport de passagers en région parisienne. La situation devrait s’améliorer avec l’électrification de la ligne Serqueux-Gisors et surtout la réfection de la voie, mais pas avant 2023. Le fer reste donc le mode le moins bien servi au Havre, où se pose aussi, pour le fluvial, la double question de l’accès direct des barges à Port 2000 via le projet de chatière, pas encore clairement arrêté, et celle du terminal multimodal LHTE. Aujourd’hui, les chargeurs hésitent à passer par ce terminal pour des raisons de coût, qui a doublé par rapport à la situation précédente de brouettage ferroviaire jusqu’au quai Bougainville, mais aussi parce que les horaires d’ouverture ne sont pas forcément adaptés. Certaines entreprises préfèrent exploiter le fluvial jusqu’à Rouen, puis finir en camion de Rouen au Havre. Cela renforce la pression en faveur de la chatière et interroge sur la pertinence de ce terminal, qui semble plus adapté au ferroviaire qu’au fluvial.

Le développement du fluvial à Marseille en 2018 suit celui du maritime. La baisse constatée en 2017 était un accident de parcours, et non une tendance. Mais il reste le problème de l’accès des bateaux fluviaux aux quais, où la priorité est donnée aux navires maritimes. Quant au fer, il arrive à saturation, et des investissements importants y sont programmés. À Dunkerque, de nouvelles dessertes fluviales vers Dourges et Valenciennes ont vu le jour, et le port a de grandes ambitions avec l’extension de son terminal maritime. Le fer y fonctionne plutôt bien, avec la proximité de Dourges, nœud ferroviaire important amené à monter encore en puissance.

Quels sont, selon vous, les avantages et points faibles de chacun des modes?

C.R.: Le premier critère de choix d’un mode de transport pour un chargeur, c’est la fiabilité. Le fluvial présente pour cela un avantage certain, sauf accident de parcours. Nous n’en sommes d’ailleurs pas à l’abri, au regard de l’état des ouvrages notamment en Seine, mais qui devrait s’améliorer avec la rénovation de l’écluse de Méricourt. La question récurrente, traitée à Dunkerque mais qu’il sera difficile de régler ailleurs, est celle du surcoût de manutention pour le fluvial. Le fer, quant à lui, a souffert des grèves importantes du printemps dernier. Et nous gardons à l’esprit la réforme des régimes spéciaux de retraite, à l’ordre du jour du gouvernement, qui pourrait occasionner de nouveaux mouvements sociaux dans le transport ferroviaire. Ce mode est aussi fragilisé par les importants travaux engagés sur le réseau depuis plusieurs années et qui ne sont pas terminés. Chaque année, SNCF réseau investit 2 à 3 Md€ pour le développement et surtout la rénovation du réseau. Ces travaux, éminemment nécessaires, se font surtout au détriment de la circulation du fret, qui voyage la nuit contrairement aux passagers.

Quelles solutions seraient efficaces pour favoriser les modes massifiés dans les ports?

C.R.: Il n’y a pas de mesure miracle, mais plutôt une addition de mesures: l’amélioration de l’accès des bateaux fluviaux aux quais maritimes de Fos ou le maintien de l’aide publique à la manutention dans le transport combiné, qui a d’ailleurs été annoncée, mais dont les dispositions précises pour 2019 ne sont pas encore connues. Une des pistes d’amélioration consiste à favoriser l’ensemble des transports combinés en portant à 48 t le poids total autorisé en charge pour le tronçon routier. Tous les conteneurs ne saturent pas la limite de poids autorisée, mais 15 à 20 % profiteraient de cet avantage en transport multimodal, par rapport à la route de bout en bout.

Quelles sont les perspectives de développement pour le rail et le fleuve?

C.R.: Les grands ports maritimes doivent avoir des objectifs de développement des modes massifiés. Mais pas des programmes incantatoires et déraisonnables, comme ceux qui avaient été fixés lors du Grenelle de l’environnement. Nous avons d’abord besoin d’études sérieuses pour identifier les flux qui pourraient être reportés de la route sur le fleuve ou le rail. Des parts modales précises doivent ensuite être fixées aux manutentionnaires, comme cela se fait dans les ports du Nord de l’Europe, avec des incitations à la clé. Ces objectifs doivent aussi dépendre de l’état du réseau. En ce qui concerne le ferroviaire, nous ne serons en état de les fixer que lorsque les travaux auront été effectués. Pour le fluvial, le coup de pouce prévu par la Loi sur les mobilités, pour ralentir l’obsolescence du réseau et sauver de la destruction certains ouvrages, était nécessaire. Les investissements sur le grand gabarit, comme Seine-Nord, permettront de créer un vrai réseau ouvert et apporteront une bouffée d’oxygène au fluvial. Globalement, la Seine et le Rhône sont loin d’être à saturation, ce qui n’est pas le cas du réseau ferroviaire, qui se heurte au contournement des grandes agglomérations.

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