Lieux par excellence du transport massifié, les ports maritimes restent ces espaces où les modes fluvial et ferroviaire sont les plus pertinents. Plus de la moitié des transports fluviaux français, par exemple, ont des ports maritimes comme origine ou comme destination. Les trois principaux ports français, Marseille-Fos, Le Havre et Dunkerque, sont connectés à un réseau fluvial. Et tous trois font une priorité du développement du fret ferroviaire dont dépend l’élargissement de leur zone d’influence, le fameux hinterland. Avec le gigantisme touchant les porte-conteneurs – qui font de moins en moins d’escales mais en chargeant ou déchargeant davantage de boîtes –, la massification du transport terrestre devient urgente. Il s’agit à la fois d’éviter l’engorgement des terminaux par un nombre de conteneurs que les camions n’arriveraient pas à évacuer, mais aussi de se rendre plus attractif auprès des armements qui sont de plus en plus sélectifs à l’égard des ports dans lesquels ils font escaler leurs porte-conteneurs.
Dans ce contexte, les ports ont bien conscience qu’ils doivent assurer la continuité du transport au-delà des limites portuaires. Ce dont témoigne la création de structures par axes, telles Medlink dans le Sud pour l’axe Rhône-Saône, Norlink dans le Nord pour les Hauts-de-France, ou le GIE entre trois ports, Haropa, dans le bassin parisien sur l’axe Seine.
« Chaque fois que nous consultons nos adhérents au sujet des ports maritimes, la desserte terrestre et la multimodalité sont les premiers éléments cités par les professionnels », confirme Antoine Sébastien, délégué aux affaires maritimes chez TLF Overseas. « Or la desserte terrestre de nos ports n’est pas satisfaisante, et le développement des transports multimodaux reste un sujet. Les grands ports qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui ont développé les modes massifiés de façon importante, comme Hambourg pour le ferroviaire ou Anvers pour le fluvial. Mais le report modal ne se fait pas du jour au lendemain, surtout quand il requiert de nouvelles infrastructures. »
Ce qui est le cas en France: desserte routière et ferroviaire de Marseille, accès direct des bateaux fluviaux aux terminaux de Port 2000 au Havre, écluse de Méricourt sur la Seine, contournement ferroviaire de Lyon ou de Paris… ces projets font l’objet d’investissements publics dont les effets ne se feront sentir qu’à long terme. Mais l’infrastructure n’est pas la seule clé d’entrée. La réglementation est un autre levier.
Exception fluviale
Pour le ferroviaire, outre les craintes récurrentes de grèves, ennemies de la fiabilité des transports, l’obtention de sillons, la tarification de l’usage de l’infrastructure ou encore la priorité des passagers sur les marchandises restent des problématiques.
Dans le domaine fluvial, un des principaux freins au report modal pour les conteneurs consiste en un surcoût de manutention, une exception propre à ce mode. Cette facture d’environ 50 € par conteneur, appliquée aux navires fluviaux pour leur chargement, n’est pas due aux camions ou aux trains. La requête des armateurs fluviaux de mutualiser ces charges de manutention entre tous les modes a obtenu satisfaction à Dunkerque, où une expérimentation amorcée en 2015 s’est soldée par une augmentation significative des flux fluviaux de conteneurs. Mais sa transposition à Marseille ou au Havre, où les volumes sont beaucoup plus conséquents, n’est toujours pas à l’agenda alors qu’elle a prouvé ses vertus sur le coût total de la logistique fluviale.
« Le fluvial a une vraie capacité de croissance des flux, notamment sur l’axe Seine », souligne Antoine Sébastien, à condition de faire de bons choix d’investissements, en privilégiant ce qui est efficace. « Le terminal multimodal du Havre, par exemple, était une erreur stratégique, dont on paye aujourd’hui encore les conséquences: mal conçu de l’avis unanime des opérateurs, il pèse aujourd’hui sur la desserte fluviale du port. Son système de navettes ferroviaires occasionne ruptures de charges, coûts et délais. Et cette plateforme n’a pas non plus aidé à développer le ferroviaire au Havre. Les investissements auraient dû se porter dès le départ sur la chatière pour l’accès des bateaux à Port 2000, afin que Le Havre ne soit plus le seul port du range Nord à ne pas être connecté à son fleuve. »
Avec ou sans OFP
Pour faciliter le développement du ferroviaire, la gestion des réseaux ferrés portuaires avait été dévolue aux Grands Ports maritimes, dans la foulée de la réforme de 2008. Tous les ports, y compris Paris et Strasbourg, avaient alors commandité des études à cette fin. Avec pour grand sujet, créer un Opérateur ferroviaire de proximité (OFP) ou améliorer la qualité de service pour les entreprises ferroviaires existantes. À l’arrivée, seuls les ports de Nantes, La Rochelle et Bayonne ont choisi de créer un service spécifique. Faisant le constat qu’ils étaient déjà bien desservis par un nombre suffisant d’opérateurs, Le Havre, Dunkerque, Marseille-Fos et Strasbourg ont opté, eux, pour le développement de la desserte existante. À Marseille, par exemple, la décision a été prise de ne pas créer de « PME ferroviaire », la régie départementale des transports (RST13) étant active dans le fret ferroviaire, même si elle était davantage axée sur les passagers.
« La création d’un OFP par un port maritime n’est pas un but en soi, mais seulement un moyen au service de l’amélioration de la desserte ferroviaire du port », éclaire André Thinières, délégué général de l’association Objectif OFP, qui met volontiers La Rochelle en exergue. Avec la création d’OFP Atlantique (voir plus loin dans ce dossier), la part modale ferroviaire y a augmenté de plus de 50 %, malgré l’augmentation du trafic maritime, et ce, sans nuire à la SNCF qui a conservé le même volume d’activité. Au-delà du succès de l’entreprise elle-même, qui dessert d’ailleurs aujourd’hui aussi le port de Nantes-Saint-Nazaire, on peut également attribuer à l’activité d’OFP Atlantique la croissance du trafic maritime de céréales enregistré par Port Atlantique La Rochelle, qui a grâce au rail élargi son hinterland, en particulier vers la région Centre.
Distance et pertinence
Capable d’aller chercher des trafics loin dans l’arrière-pays, le ferroviaire peut aussi être adapté à la desserte de proximité. « La distance de pertinence du transport ferroviaire ne se décrète pas » rappelle André Thinières, mais s’évalue au cas par cas. « Lorsqu’il s’agit de transporter de l’acier sur une distance de 1 000 km, la route peut difficilement faire mieux que le train. Mais la desserte ferroviaire des ports maritimes évolue, avec la démonstration que l’utilisation du train peut aussi, dans certains cas, être pertinente pour de courtes distances. C’est le cas, par exemple, à l’usine Perrier de Vergèze (Bouches-du-Rhône) où une installation terminale embranchée a été réactivée pour la circulation d’un train quotidien à destination de Fos (bassin Ouest de Marseille), distant de seulement 80 km » (voir le sujet p. 60). Pour le délégué général d’Objectif OFP, le développement du fer sur de courtes distances demande surtout d’accepter l’idée « que le fret ferroviaire n’a pas pour unique vocation de tirer des trains complets d’un point A à un point B, mais peut aussi s’insérer dans une chaîne logistique complète pour en devenir un des maillons. Sur de plus longues distances, le développement du fret ferroviaire dans les ports maritimes passe aussi par la desserte fine des hinterland profonds, pour aller chercher des céréales dans un silo éloigné par exemple. Pour cela, il faut que tout le réseau, de bout en bout, soit en bon état de fonctionnement. »
Il reconnaît que, depuis quatre ans, des efforts ont été faits « par SNCF réseau, en collaboration avec les chargeurs, pour rénover le réseau là où cela a du sens, notamment pour l’accès ferroviaire aux ports maritimes depuis des lieux souvent éloignés des voies fluviales. » Cela prendra du temps pour en ressentir pleinement les effets, signifie-t-il, mais il est convaincu que « la part modale du fer dans les ports maritimes va s’améliorer. Les effets de la réforme se font de plus en plus visibles. L’amélioration de la desserte ferroviaire de Marseille-Fos ou la réfection de la ligne Serqueux-Gisors sont désormais des dossiers anciens. »
Antoine Sébastien acquiesce, rappelant que les modes massifiés ne doivent pas faire oublier la route: « le report modal, avec ses grands projets, avance lentement. Mais il ne faudrait pas oublier le transport routier, dont la part modale est aujourd’hui de 90 % dans les ports maritimes. Ce mode aussi a besoin d’investissements pour éviter la congestion routière pour l’accès aux ports… »