Olaf Merk: « Il y a une réelle préoccupation »

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Les alliances stratégiques dans le transport maritime de conteneurs ont une histoire qui s’étend sur deux décennies. Quelle est la valeur ajoutée de cette étude par rapport à tout ce qui a déjà été dit et écrit?

Olaf Merk: Son exhaustivité! Pour autant que nous le sachions – et nous avons étudié des centaines de rapports sur le sujet – c’est la première fois que les impacts des alliances sur l’ensemble de la chaîne logistique maritime sont examinés. Les alliances ont souvent été traitées comme une question intéressant le seul transport maritime, mais les effets sur les autres parties prenantes comme les chargeurs, les ports et les terminaux ne doivent pas être ignorés. Nous avons rédigé ce rapport parce que nous avons constaté une réelle préoccupation de nombreux acteurs, intéressés pour en discuter, craignant cependant que le fait même de soulever la question des impacts n’ait des répercussions sur leur entreprise.

Vous n’éludez pas le fait que les alliances puissent être un terreau fertile à la collusion entre transporteurs, mais sur sa réalité, vous ne répondez pas vraiment…

O.M.: Notre but n’était pas de prouver s’il y a collusion ou non. Nous avons constaté que les alliances offrent aux transporteurs de nombreuses possibilités d’échanges d’informations, notamment sur les coûts, les prix et la capacité.Cela comporte un risque.

À la question de savoir si les alliances produisent des systèmes de transport plus efficaces, vous répondez: « pas vraiment »…

O.M.: En effet, les alliances peuvent apporter des avantages à certains transporteurs, mais ne semblent pas produire des systèmes plus efficaces.

Dans le rapport, vous montrez que chaque génération d’alliance a répondu à une problématique particulière. En quoi la dernière génération née des soubresauts du printemps de 2017 est-elle différente des autres?

O.M.: Les alliances maritimes actuelles peuvent être considérées comme la 4e génération. C’est la consolidation du transport maritime conteneurisé qui a conduit à leur émergence.Elles se distinguent des précédentes, notamment parce qu’elles sont composées d’au moins deux transporteurs dominants et les trois agglomèrent les huit plus grands transporteurs mondiaux. Diverses études indiquent que des avantages pourraient être obtenus si les transporteurs partenaires étaient disposés à collaborer pleinement, sur l’utilisation des navires, le partage des bénéfices, les coûts d’exploitation… Pourtant, on peut se demander si les avantages théoriques se concrétisent dans la pratique. Le principal modèle des deux premières générations était la combinaison d’un transporteur dominant et de plusieurs petits transporteurs auxquels elles ont permis de réaliser des économies d’échelle.

L’émergence de la 3e génération, à partir de 2012, était, elle, fortement liée à la première commande de méga-navires en 2011. Cette commande a été perçue par de nombreux petits transporteurs comme une barrière à l’entrée – taille critique et intensité capitalistique devenaient nécessaires pour suivre – de sorte qu’elle a intensifié la coopération au sein de leurs alliances respectives.

Les alliances étaient censées améliorer l’utilisation des navires, mais on ne peut pas dire que ce soit un succès, à vous lire, avec un raccourci un peu rapide entre alliances et surcapacité, non?

O.M.: Les alliances mondiales ont exacerbé le problème des surinvestissements et des surcapacités. Elles ont été utilisées par les transporteurs pour acquérir des méga-navires qu’ils n’auraient pas été en mesure de faire autrement. Ce sont les méga-commandes de navires après 2009 – en dépit de l’effondrement du commerce mondial – qui sont la cause principale de la surcapacité actuelle et d’un problème de rentabilité. Il y a donc un lien entre les alliances et la surcapacité.

Vous faites de la faillite du transporteur sud-coréen Hanjin, membre de l’Alliance CKYHE au moment de sa faillite en 2016, un emblème des risques liés aux alliances car ses navires transportaient une quantité importante de conteneurs provenant des autres membres de l’alliance, qui ont peiné à récupérer les cargaisons de leurs clients.

O.M.: Le cas de Hanjin a clairement montré que les stratégies de diversification des risques opérées par les chargeurs sont contrecarrées par l’existence d’alliances. Elles ne fonctionnent pas car leurs cargaisons embarquées sur les navires de transporteurs qu’ils choisissent avec soin se retrouvent en fait sur des navires d’autres transporteurs, en raison des alliances et des accords de partage de slots. La plupart du temps, les chargeurs ne peuvent pas savoir si les services sont exploités par le transporteur en tant qu’opérateur unique, dans le cadre d’un « vessel sharing agreement » ou d’un « slot charter », entièrement exploité par un autre transporteur.

Au lieu de créer des synergies, les alliances aboutiraient à l’homogénéisation de la qualité du service. Quels sont les indicateurs qui vous permettent de l’affirmer?

O.M.: Nous observons moins de différenciation dans les services en ce qui concerne le transit-time, la fiabilité des horaires et les correspondances de port à port. Par exemple, les temps de transit de tous les transporteurs en alliance sur la voie commerciale Asie-Europe du Nord sont d’environ 29 jours. En 2014, il y avait toute une gamme d’options, allant de 26 à 39 jours, offrant beaucoup plus de choix aux expéditeurs.

Vous soutenez que la coopération par le biais d’alliances mondiales a souvent jeté les bases d’une fusion ou acquisition et que les résultats sont mitigés. Voulez-vous signifier que les alliances accélèrent la consolidation?

O.M.: Les alliances ont parfois été présentées comme une alternative plus compétitive aux fusions. Ce n’est pas exact. Le fait qu’il n’y ait que trois joueurs sur une voie commerciale est une préoccupation, qu’il s’agisse d’une alliance ou d’une consolidation. Les alliances n’ont pas empêché la consolidation, et la coopération dans le cadre d’alliances a en effet parfois facilité les fusions.

Le rapport est sévère quant aux relations des armateurs avec les ports, que vous décrivez complétement vassalisés. Les risques associés à la puissance monopsone que vous listez ne sont-ils pas d’abord le fait de la consolidation?

O.M.: Certains ports dépendent fortement d’un faible nombre de transporteurs. Cet effet a été amplifié par des alliances, qui ont donné aux transporteurs un énorme effet de levier par le simple fait qu’un changement d’escale implique un important flux. Notre analyse montre que les trois alliances mondiales utilisent au total 89 ports différents sur leurs services Est-Ouest. Seuls 16 reçoivent des escales des trois alliances. En Europe, 6 ports seulement reçoivent les escales des trois alliances sur les routes commerciales Asie-Europe et Amérique du Nord-Europe: Rotterdam, Anvers, Le Havre, Valence, Barcelone et Gênes. Plus d’un tiers des ports européens dépendent d’une seule alliance, y compris de grands ports comme Gioia Tauro (cf. voir plus loin le cas de Gioia Tauro).

Quelles sont les marges de manœuvre des ports?

O.M.: Les ports peuvent essayer de « lier » des alliances en fournissant des services de qualité, par exemple d’excellentes liaisons avec l’arrière-pays. Le risque existe toutefois qu’ils se fassent concurrence au niveau des redevances. C’est pourquoi nous soutenons que les ports concurrents doivent s’entendre sur des principes communs en matière de tarification portuaire.

On croyait les transitaires menacés par l’ubérisation. Ils le sont en fait par l’intégration verticale?

O.M.: Les transitaires semblent être menacés de deux côtés: les start-up qui maîtrisent les technologies de l’information, et les transporteurs qui ont des ambitions d’intégrer la supply chain. Cela soulève des questions sur l’égalité des conditions de concurrence: les transporteurs sont soutenus par les politiques gouvernementales, ce qui n’est pas le cas des transitaires.

Vous souhaitez donc que l’exemption par catégorie expire en avril 2020 tout en soutenant que cela sera sans conséquences…

O.M.: Il n’y a aucune justification pour le maintien d’exemptions spécifiques, ni pour les conférences ni pour les alliances.

Ne pas renouveler l’exemption par catégorie en faveur des consortiums permettra un examen plus approfondi des alliances individuelles, ce qui pourrait dissuader plus efficacement les comportements anticoncurrentiels. Nous mentionnons également qu’il serait bon d’être plus strict sur certaines formes de collaboration telles que l’échange d’informations relatives au marché, aux clients et d’autres questions commerciales connexes.

Les faits en chiffres

• 95 % des voies commerciales Est-Ouest sont couvertes par des transporteurs en alliance, ce qui leur confère un pouvoir de marché considérable

• Alors qu’en 1998, les quatre premiers transporteurs détenaient une part de marché inférieure à 20 %, elle est de 60 % en 2018

• La part de marché mondiale des terminaux contrôlés par les transporteurs est passée de 18 à 38 % entre 2011 et 2017

• En Amérique du Nord, seuls six ports reçoivent des escales des trois alliances sur des services entre l’Asie et l’Europe

• Après le remaniement de l’alliance en avril 2017, Matson, Zim, SM, Wan Hai et Pil se sont retirés de la route Est-Ouest mais ont augmenté leur part de marché sur la route transpacifique de 1,6 %

• Le retard moyen des navires au second semestre de 2017 était de 1,02 jour

Il était de 0,60 jour à la même période de 2016. Il a considérablement augmenté pour Ocean Alliance et The Alliance mais a diminué pour 2M

Les personnes interviewées

Pour cette étude réalisée par l’OCDE, une quarantaine de personnes ont été interviewées: des chargeurs (Procter & Gamble), des opérateurs portuaires (Eurogate GmbH, PSA, Association of Italian Terminal Operators Port Contship Italia), des associations de professionnels représentant des propriétaires de navires (ANAVE), des compagnies de feeders (Team Lines), des ports (Barcelone, Valence, Hambourg, Gênes, Los Angeles), des exploitants de terminaux (Salerno Container Terminal), des représentants de services portuaires et des logisticiens (Kotug Smit, Kühne + Nagel, Hamburger Hafen und Logistik AG, Nexlog, etc.). Parmi les armateurs, seul l’allemand Hapag-Lloyd émerge de la liste.

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