A.P. Moller-Maersk va mieux. Vous avez présenté récemment les résultats d’un 3e trimestre qui ont agréablement surpris les analystes financiers. Pour autant, les démons du transport maritime sont toujours bien présents. Que répondez-vous à ceux qui vous rendent responsables de l’offre excédentaire de capacités. Les compagnies maritimes ont-elle péché par excès de confiance?
Claus Ellemann-Jensen: Surcapacité ne signifie pas forcément excès de confiance. Les commandes de navires répondent à la nature de notre industrie, terriblement cyclique. Quand on gagne de l’argent, on commande des navires et tous les navires sortent en même temps. Cela est critiquable mais il en est ainsi: Maersk a décidé de reporter ses commandes de grands navires après 2020, car il y a actuellement une surcapacité inutile. Surtout, notre ambition est de mieux distribuer le résultat de nos activités en développant nos revenus liés à la partie non maritime. La fusion avec Damco répond à cet objectif. Aujourd’hui, ces activités comptent pour un tiers. Nous voulons porter cette part, dans un avenir relativement proche, à 50 %. Je suis conscient que cela ne répond que partiellement à la question.
Sur l’intégration de Damco et de Maersk Line’s Ocean, qui comprend les activités de la ligne régulière maritime conteneurisée et la marque APM Terminals, vous avez annoncé qu’elle serait effective le 1er janvier 2019. Vous êtes conscients que vous allez sur le terrain des intermédiaires que sont les transitaires par exemple.
C.E.-J.: Pour le groupe, il s’agit d’offrir à notre clientèle des solutions logistiques de bout en bout. Cela peut être perçu comme une intrusion par certains de nos clients. Nous échangeons avec eux en toute transparence pour trouver un équilibre ensemble. Je considère que le marché est suffisamment vaste pour que l’on puisse tous s’exprimer. Il nous importe de proposer des services plus pointus. Nous sommes et serons de plus en plus dans une stratégie de segmentation du client. Parce que la chaîne de transport, le coût logistique et de transport maritime d’un importateur de vêtements d’Asie et d’un chargeur de papiers recyclés ne sont pas les mêmes, nous estimons que le produit proposé ne doit pas l’être non plus.
Quel genre de services allez-vous offrir?
C.E.-J.: Nous ferons des annonces dès janvier. Mais par exemple, grâce à l’acquisition d’Hamburg Süd, un tiers des conteneurs réfrigérés sont désormais transportés par notre groupe, ce qui est conséquent comme part de marché. Or dans la plupart des pays, France comprise, nous ne sommes pas en mesure de proposer à cette clientèle spécifique des services au-delà du transport maritime, comme les a développés Damco notamment pour les enseignes de la grande distribution, pour lesquelles il assure de la consolidation auprès des fournisseurs jusqu’à la livraison à destination finale, entrepôt ou magasin.
Votre environnement de marché est contraint par le renchérissement des coûts de soute, que vous n’avez que partiellement compensés par les taux de fret, toujours faibles, et l’application de surcharges combustibles…
C.E.-J.: De juin à septembre, le taux de fret moyen a augmenté de 5,5 %, sous l’effet de l’application des BAF mais dans le même temps, le prix des soutes s’est renchéri de 47 % par rapport au 3e trimestre 2017. Le coût unitaire à prix du combustible égal a été de 1,2 % supérieur, soit 905 $ par conteneur. Nous n’avons pas d’autre option. Nous allons introduire une surcharge flottante (seuil de déclenchement non précisé, NDLR) au 1er janvier 2019 en anticipation des nouvelles réglementations.
Comment réagissent vos clients jusqu’à présent?
C.E.-J.: Nous considérons que notre mécanisme de calcul et de facturation est transparent. Et nous l’avions annoncé bien en amont pour obtenir la compréhension. Nous avons même comparé notre dispositif avec certains de nos clients, qui appliquent aussi des surcharges, et il s’est avéré que nos règles étaient plus avantageuses. La problématique est avec les petits chargeurs.
Au moment où tout le monde réajuste, vous avez ouvert en juillet deux nouveaux services directs en sortie de Marseille-Fos avec vos propres navires, en dehors de l’alliance 2M, l’un entre l’Europe du Sud et le Canada et l’autre vers le Moyen-Orient. C’est un retour en force?
C.E.-J.: Oui, le moment est difficile. C’est ce qui prouve notre volonté d’investir sur le marché français. Pour le Med Montréal Express (5 navires de 1 700 EVP), qui va desservir Montréal et Halifax, nous avons été sollicités par un grand chargeur (dont il taira le nom mais l’on sait que c’est un chargeur d’eau gazeuse, cf. p. 60, NDLR), qui va assurer le fond de cale de cette nouvelle ligne. Il offre aux chargeurs du Sud de l’Europe une porte d’entrée directe vers l’Amérique du Nord avec un transit-time de 13 jours au départ de Marseille.
Pour le ME2 (7 navires de 6 000 à 9 000 EVP) qui va relier Fos au Moyen-Orient via Salalah, il s’agissait aussi de répondre à une demande, en l’occurrence de la grande distribution réunionnaise, à laquelle on va offrir une économie de 10 jours en réalisant la boucle en 19 jours. Avec ces deux nouveaux services, l’offre de Seago Line (la filiale intra-européenne et méditerranéenne du groupe, NDLR) et le service AE20 (ligne Asie opérée via 2M), qui a réglé ses problèmes de fiabilité, Maersk retrouve un niveau d’offre correct.
Vous estimez que votre offre en France n’était pas suffisamment étayée? Comment expliquez-vous le fait que vous soyez leader ailleurs et de loin challenger en France?
C.E.-J.: Nous y sommes numéro 3 en réalité avec environ un dixième du marché alors que dans les autres pays européens, nous sommes plutôt autour de 20 %, voire au-delà. C’est en effet modeste pour la 6 ou 7e économie mondiale. Mais nous sommes aussi plus faibles du fait de l’ancrage historique de deux grands armateurs mondiaux, CMA CGM et MSC, pour lesquels j’ai beaucoup de respect. Nous ne sommes pas obsédés par les volumes et l’idée de devenir leader en France. Proposer de nouveaux services est en soi une façon de conquérir un terrain.
Quelle est la question que je n’ai pas posée mais que vous auriez aimé que je vous pose pour faire passer un message?
C.E.-J.: Ce n’est pas parce que Maersk n’est pas leader en France qu’il n’est pas à même de proposer des services cousus pour ce marché. Au contraire car ne pas être premier nous donne une agilité qu’on nous reproche parfois de ne pas avoir.