Conforme à sa raison d’être – s’offrir un temps d’arrêt deux jours par an pour réfléchir à l’avenir des ports français et promouvoir l’innovation portuaire – ces 8e Assises du Port du futur n’ont pas abusé le visiteur. Celui-ci aura été abreuvé sur à peu près tous les enjeux sur lesquels les ports sont bien contraints d’avancer à la hussarde, compte tenu d’une « conjoncture économique complètement erratique qui rend difficile un développement portuaire massif », plantera Paul Tourret, directeur de l’Isemar. « On a vu émerger plusieurs familles d’enjeux et assisté à un changement de paradigme, synthétisera Claude Geoffroy, du CGEDD. Les ports nous avaient habitués à nous dire qu’il sont les meilleurs. Cette fois, ils nous ont dit pourquoi ils coopèrent ».
La coopération interportuaire, talon d’Achille des ports français, aura en effet innervé les débats. Si les ports ne s’habituent toujours pas à l’idée « qu’Anvers soit le premier port de France », ils semblent considérer l’alignement des visions et des pratiques comme un levier pour mieux s’insérer dans l’économie mondiale et accessoirement reprendre à Anvers « ce qu’il nous a pris depuis 1880 » (une phrase qui rencontre toujours un certain succès).
Sur l’autre « famille d’enjeux » – verdissement au GNL, électrification des quais, solarisation des hangars -, la messe est dite, reprend Paul Tourret. « La mobilité des échanges au xxie siècle n’est pas tout à fait de grande liberté commerciale mais bien plutôt celle de l’empreinte carbone ». C’est pour lui la vraie question de demain. « Il faut admettre la désindustrialisation portuaire. Il n’y aura pas de transition énergétique pour le pétrole et le charbon. Nos espaces portuaires doivent être mis à contribution pour faire de la biomasse ou de la bioénergie ». L’événement a en effet fait la part belle aux solutions qui doivent rendre les ports plus « efficients », vertueux dès la conception des ouvrages marins et inventifs dans la valorisation des sédiments.
GNL et électrification
« Le branchement à quai électrique sur le nouveau terminal à conteneurs et l’avitaillement en GNL seront effectifs d’ici 2019, annonce Erwan Le Bris, directeur de l’aménagement au sein du GPM de Dunkerque. « De toutes les solutions identifiées, ce sont celles qui nous paraissaient les plus concrètes et rapides à mettre en œuvre ». Désormais, appelle-t-il, « nous avons besoin d’un soutien de l’État, d’une implication des industriels pour avoir des motorisations plus performantes et des solutions techniques dans le déploiement des stations d’avitaillement terrestres, et de financements car la mise en oeuvre de ces projets est très coûteuse, les filières étant émergentes ».
De son côté, Brest, port « régional » depuis 2007, compte sur les énergies marines renouvelables dans lesquelles il a investi 200 M€ (avoir un président de région qui a l’influence d’un Yves Le Drian aide) pour s’affranchir de sa dépendance énergétique et compenser les mutations agricoles dont dépendent ses activités.
Pour attirer des investisseurs, Brest pousse l’intégration. « L’autorité portuaire est la région. La CCI est le concessionnaire-exploitant. L’État est toujours présent. La Métropole gère les voies de dessertes portuaires… Notre schéma de fonctionnement n’est pas lisible », justifie Pascal Le Berre, en charge des opérations d’aménagement. Pour offrir un point d’entrée unique, une société d’économie mixte, autour des ports de Brest et Roscoff, est en cours de création avec, pour actionnaires majoritaires, la Région, la CCI, la Métropole brestoise. La SEM n’exclut pas d’intégrer ultérieurement Lorient et Saint-Malo « pour avoir une vraie politique régionale portuaire ».
« Avant de se faire concurrence, commençons par travailler ensemble au nom d’un intérêt général: donner de la visibilité à la façade Méditerranée et éviter que les trafics ne remontent à Anvers ou Rotterdam », détonne Philippe Guillaumet, en charge des projets internationaux du GPM de Marseille, dont l’intervention a dû régaler Jean-Christophe Baudouin (présent dans la salle). Le délégué interministériel en charge de la coordination de l’axe rhodanien prêche en en ce sens.
La fin des baronnies?
Le port phocéen a réalisé une petite performance « avec le soutien du port de Toulon »: fédérer dans une association, MedPorts, une ligne de front portuaire d’une vingtaine de ports des deux rives, représentant 2/3 du trafic de conteneurs de Méditerranée. Marseille-Fos vient par ailleurs de lier son destin portuaire au Havre, les deux ont initié une navette ferroviaire pour desservir la Suisse et récupérer les trafics confisqués par les ports du Nord.
Tout « hub d’innovation » qu’il soit, le rendez-vous annuel n’a pas occulté les grands mouvements structurants qui traversent l’économie portuaire et les angles morts du système qui rendent le modèle économique plus qu’incertain. D’autant que l’instabilité fiscale et budgétaire complique le financement des investissements, dont le rythme devrait pourtant être soutenu.
Inévitablement, quand on parle « vision » et « ambition », la gouvernance s’invite à la table des débats d’autant que le Premier ministre, Édouard Philippe, les a embarqués depuis la présentation de sa stratégie pour relancer la compétitivité portuaire.
« Il n’y a pas de déterminisme organique sur la question, lance Paul Tourret, incomparable dans un exercice de « y’a qu’à faut qu’on ». Ceux qui ont assisté aux deux jours se poseront sans doute la question: pourquoi des collectivités locales sont capables de mettre 150 M€ sur la table pour faire du développement portuaire quand les GPM semblent à la peine, ne serait-ce que pour lancer les études. Quoi qu’il en soit, conclut Paul Tourret, « on est capable d’avoir 25 modèles portuaires en France, dont aucun ne fonctionne, on peut donc bien essayer des choses nouvelles ».
* Initiées par le Cerema, à la demande de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGTIM) avec notamment la participation de l’Union des ports de France, des pôles de compétitivité Mer, le Cluster maritime français,