À quelques milles nautiques du continent africain, Marseille joue la carte de la proximité culturelle et géographique. En dépit de ces atouts, les liens commerciaux se sont distendus ces dernières années au bénéfice du range Nord, d’Anvers en particulier. Des flux détournés parfois en raison d’un simple document administratif. « Les véhicules roulant d’occasion peuvent partir d’Anvers avec une simple photocopie de la carte grise. En France, il faut l’original », pointe Stéphane Salvetat, président du Syndicat des transitaires de Marseille-Fos. De nouvelles initiatives locales tendent à renouer avec le continent. Le schéma stratégique de la Métropole Aix-Marseille a inscrit le Maghreb, le Sénégal et la Côte d’Ivoire comme des pays cibles.
Récupérer les trafics
« Nous sommes en position de reconquête. Chaque année 370 000 camions transitent entre Algesiras et Tanger. Nous avons de bons transittime et la possibilité de proposer dès demain du report modal pour des remorques préhensibles. Nous sommes très actifs sur le Maghreb et en Afrique subsaharienne. Ce sont des partenaires économiques de premier plan. L’Égypte se montre intéressée par le Fresh Food Corridor notamment pour ses denrées périssables », détaille Christine Cabau Woehrel, présidente du directoire de Marseille-Fos.
Premier acte en date de la reconquête, la création en 2017 d’une communauté d’entrepreneurs, AfricaLink, portée par la CCI de Marseille-Provence qui recense une centaine d’adhérents dont des entreprises maritimes (transitaires et compagnies). « Notre stratégie consiste à repositionner Marseille comme hub entre l’Europe et l’Afrique », précise Frédéric Ronal. Le vice-président de la CCIMP en charge des relations internationales salue les récentes visites du président Emmanuel Macron en Afrique.
Le deuxième acte a été joué en février 2018 avec la création de l’association Medports, initiée par le port de Marseille-Fos, qui regroupe des autorités portuaires du bassin méditerranéen dont Arzew, Béjaïa, Skikda, les ports tunisiens et Tanger. « Six groupes de travail ont été constitués. Nous annoncerons en novembre le programme de 2019 », complète la directrice du port.
La diplomatie, un rôle central
Au même moment, devrait se tenir le Sommet de la Méditerranée annoncé en septembre par Emmanuel Macron, dont l’un des événements se tiendra à Marseille. Dans les échanges, en particulier avec l’Algérie, la diplomatie joue un rôle central. Outre les nouvelles taxes sur certains produits importés pour favoriser l’industrie, la douane algérienne désigne de manière aléatoire les ports secs où doivent être livrés les conteneurs. Cette décision intervenue en mai dernier accentue l’engorgement au port centre d’Alger. En 2018 également, le pays applique une TVA de 19 % sur les services aux navires que les armateurs ne peuvent récupérer. Conséquence, les flux avec l’Algérie diminuent même s’ils demeurent à un haut niveau concentrant 34 % des flux de marchandises traités sur Marseille-Fos. Avec 28 Mt dont 120 000 EVP, l’Algérie arrive en tête des partenaires commerciaux de Marseille, devant même le Nigeria, la Libye, la Tunisie (avec 60 000 remorques et 12 000 véhicules neufs), l’Égypte et la Guinée d’où est extraite la bauxite.
« Sur la Tunisie, nous assistons à un retour des trafics après la révolution du Jasmin », précise Charles Missighers, chargé de mission auprès de l’Union maritime et fluviale de Marseille-Fos.
Au Maroc, Marseille souffre à la fois de la concurrence du tout-route via Algésiras et du lien fort avec le port de Sète. La ligne Ro-Ro Marseille-Tanger de CMA CGM n’a tenu que trois petits mois. À raison d’une dizaine de remorques par traversée, la compagnie a jeté l’éponge en janvier dernier. Principal enseignement de cet échec, la nécessité de mobiliser les prescripteurs au lieu des transporteurs. « Si l’Europe veut moins de camions sur ses routes, elle doit s’en donner les moyens », complète Charles Missighers.
À Fos, la directrice du port rappelle tout de même le beau succès des expéditions de véhicules automobiles (Dacia) depuis l’usine Renault de Tanger avec des volumes en croissance depuis plusieurs années.
Des liens à créer
Sur l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, il s’agit moins de reconquête que de conquête. CMA CGM a suspendu en septembre dernier les escales directes au Med Europe Terminal de son service Euraf 4 (Lomé, Cotonou, Bata, Malabo, Kribi, Libreville et Douana). « À Nantes et à Bordeaux, le passé colonial avec les pays de la COA est plus fort qu’à Marseille. Aujourd’hui, sur des flux États-Unis/Afrique, ce sont les transitaires qui choisissent le port, d’où l’intérêt pour Marseille d’attirer des leaders économiques qu’ils soient transitaires ou industriels », observe le président du Syndicat des transitaires de Marseille-Fos.
Pour les professionnels, Marseille doit intensifier ses relations avec les pays d’Afrique de l’Est, en particulier au Kenya et en Somalie; où se trouvent les gisements de croissance. « Nous manquons de liens sur l’Est de l’Afrique même si Messina parvient à tirer son épingle du jeu », précise Stéphane Salvetat.
Dès 2019, la CCI de Marseille-Provence entend s’ouvrir aux pays d’Afrique anglophone (Rwanda et Éthiopie). Mais la reconquête est un travail de terrain et de longue haleine. L’association de promotion de la place portuaire phocéenne Via Marseille Fos planche sur un plan d’actions.