Paradoxalement, la Chine s’est imposée en Afrique en tant qu’investisseur et bâtisseur de premier choix mais a laissé à d’autres l’opportunité d’opérer les terminaux portuaires ultramodernes qu’elle a pourtant financés et auxquels elle apporte la majorité des flux. Contrairement au mode de fonctionnement observé par les entreprises asiatiques chez elles. Telles China Merchants Group (CMG) et sa filiale, China Merchants Port Holdings, 5e manutentionnaire mondial, qui intervient sur les terminaux les plus importants de son pays. Sur le continent africain, elle a manifestement choisi de s’effacer à chaque fois derrière un opérateur de référence, comme avec Bolloré Logistics pour le terminal de Lagos-Tincan, dont le conglomérat détient 47,5 %, et Til-Maersk pour le Lomé Container Terminal (LCT) qu’il possède pour moitié.
La mise en concession progressive des terminaux portuaires a donc été préemptée, un peu par la plupart des grands armements – Maersk avec sa filiale portuaire APM Terminals, MSC via Terminal Investment Limited (Til) ou CMA CGM via CMA Terminal – et beaucoup par le groupe Bolloré via sa filiale dédiée, Bolloré Africa Logistics. Le Français est en effet sur tous les fronts portuaires, avec la gestion en direct des terminaux de conteneurs de 10 ports ouest-africains, de 25 ports secs ainsi que la cogestion dans 16 autres. Il est aussi présent dans des concessions ferroviaires via Sitarail en Côte d’Ivoire et Burkina Faso, Camrail au Cameroun ou Benirail au Bénin. Il vient toutefois de se faire débouter de plusieurs grands projets ferroviaires par les gouvernements du Bénin et du Niger (il a aussi accumulé les déboires juridiques, notamment pour des soupçons de corruption dans l’attribution de concessions portuaires).
300 M€
Les opérations africaines ont ainsi contribué à hauteur de 2,5 Md€ au chiffre d’affaires du groupe français en 2017. Et lors de l’Africa CEO-Forum en mars dernier à Abidjan, Philippe Labonne, qui dirige Bolloré Africa Logistics, a annoncé un nouvel investissement de 300 M€ en 2018 sur le continent « pour améliorer les infrastructures » et lancer de nouveaux projets.
Bolloré n’est plus seul. En une décennie, le 4e opérateur mondial, l’émirati DP World, a investi toutes les façades portuaires du continent, de l’Algérie au Mozambique, du Sénégal au futur géant de Banana (Congo) et de l’île de Suakin dans les eaux soudanaises. Il vient en outre de s’engager pour 20 ans avec le Mali dans le projet d’un nouveau port sec à Bamako. Sur le corridor routier et ferroviaire reliant Bamako à Dakar au Sénégal, le site proposera une capacité de traitement jusqu’à 300 000 EVP et de 4 Mt de fret en vrac. Le démarrage du chantier est annoncé en 2019 pour une durée de 18 mois environ. Pour stimuler le fret ferroviaire et la desserte multimodale du futur port sec, DP World va également livrer aux pouvoirs publics maliens trois trains appelés à relier Bamako au port de Dakar.
A contrario, les deux géants de la manutention Hutchison Port Holdings (HPH) et Port of Singapore Authority (PSA) sont peu visibles. Les Singapouriens, éconduits à Abidjan et à Djibouti, n’y ont pas de « point de chute » alors qu’ils manutentionnent près de 8 % du trafic conteneurisé mondial. Évincé à Abidjan en 2013 et plus récemment à Kribi, le Philippin International Container Terminal Services, Inc. (ISTCI), 14e opérateur mondial, traite le fret à Toamasina (Madagascar) et à Matadi (Congo). Il a jeté l’éponge à Lekki, au Nigeria, où il avait été retenu en 2012 par le fonds singapourien Tolaram.
Qu’en sera-t-il pour les ports qui doivent sourdre de terre ou pour ceux dont le renouvellement approche, comme Douala en 2019. Outre l’actuel titulaire du contrat, le consortium européen Bolloré-Maersk, et l’émirati DP World, les deux autres pré-qualifiés sont le singapourien PSA International et le hongkongais Hutchison Port Holdings (HPH). Les temps changent donc…