La conviction des armateurs

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« Un des plus grands essors économiques du xxie siècle aura pour cadre l’Afrique », défendait l’armateur français CMA CGM il y a à peine deux ans.

« La plupart des 20 transporteurs qui desservent aujourd’hui les côtes africaines l’ont fait de façon ininterrompue depuis de nombreuses années, ce qui donne à penser qu’ils ont de bonnes raisons de le faire », note avec à propos un professionnel du secteur. Avant d’ajouter: « Mais ils faut être prêt à faire des ajustements de capacité plus importants qu’ailleurs ».

Entre 2005 et 2015, les capacités annuelles déployées par les armements de lignes régulières ont quasiment triplé pour atteindre 5,5 MEVP, selon la dernière étude bisannuelle (2016) sur l’Afrique de l’Ouest réalisée par Dynamar. Mais non sans avoir à revoir régulièrement leurs ambitions pour absorber les secousses d’un marché de « haute intensité concurrentielle », où la faiblesse de rentabilité de certaines lignes est structurelle. Voire à céder aux revers comme l’ont fait les armateurs japonais Mol et taïwanais Evergreen en abandonnant leurs lignes reliant l’Europe à l’Afrique.

Les Européens y croient et sont en force. Sur le range entre la Mauritanie et l’Angola, les trois premiers d’entre eux – Maersk, MSC, CMA CGM – concentrent en effet près des 2/3 des capacités déployées.

Stratégie inédite

Et le premier en termes de capacités conteneurisées, selon Dynamar, est MSC (capacité annuelle de transport estimée par le consultant autour de 220 000 EVP). L’italo-suisse a pourtant longtemps été « l’outsider » sur le continent africain. Son histoire est connue mais en dit long sur les stratégies à opérer pour appréhender l’Afrique. MSC est progressivement monté en puissance à l’Ouest grâce à une stratégie alors inédite en matière de transbordement, en faisant de San Pedro (Côte d’Ivoire) une plateforme de redistribution des marchandises venant d’Europe et des Amériques et la porte de sortie des exportations de la sous-région, qui apportent près de 60 % du trafic. Il y a un an, il signait une nouvelle concession de 35 ans, prévoyant un apport de 200 M€ notamment pour une extension.

MSC a ensuite changé d’échelle en 2015 en faisant de Lomé (Togo) son point de rencontre unique pour les navires en provenance de l’Asie. Ce port au tirant d’eau élevé lui a ainsi permis de mettre en oeuvre des navires deux fois plus gros et de réaliser des économies d’échelle pour rester compétitifs sur un axe très concurrentiel.

L’introduction de navires de plus grande capacité est un des faits notables de ces dernières années. les côtes africaines n’échappent pas à la rationalisation des services (en 2014, les armateurs alignaient 20 services hebdomadaires entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest quand ils n’en offraient plus que 12 début 2017, selon Dynamar). Mais, dans le même temps, la capacité moyenne des navires a augmenté. Selon le consultant, actuellement, 112 porte-conteneurs sont alignés sur les principales routes Asie-Afrique de l’Ouest par 10 armateurs, dont la capacité moyenne est de 5 300 EVP, le plus gros navire ne mesurant pas moins de 13 100 EVP. La question qui anime ceux qui « pensent » ce marché demeure: y aura-t-il des effets de transfert dans le cadre de la réorganisation du transport maritime en cours. Les navires, autrefois affectés sur les lignes Europe-Asie ou le transpacifique mais devenus sous-dimensionnés sous l’effet des nouvelles alliances, pourraient trouver une nouvelle raison d’être sur le segment Asie-Afrique. Les armateurs privilégieraient un ou deux ports de touchée sur l’Ouest africain, tels que Pointe-Noire et Lomé, et une escale dans le Sud du continent.

Services en gestation

CMA CGM, présent sur le marché africain depuis 2001, propose au départ du Nord de l’Europe six services et 11 en intra-Afrique et « relie l’Afrique au monde avec des fréquences hebdomadaires et des transits times rapides » via le hub de Tanger, pour l’Afrique de l’Ouest, ou les hubs de Khor Fakkan ou Port Kelang pour l’Afrique de l’Est.

Dernièrement, l’armateur, dont l’offre de transport annuelle avait été estimée par Dynamar à 110 000 EVP dans son dernier décompte sur la partie Ouest, a recomposé dernièrement quelques-uns de ses services majeurs, tels son Euraf 5, pour le rendre hebdomadaire, plus court et en en y intégrant logiquement son nouveau hub de Kribi (Cameroun) dont il assure la gestion et l’exploitation dans le cadre d’un consortium en partenariat avec l’État. En jouant sur la vitesse et la souplesse, l’armement français chercherait à muscler son offre auprès des chargeurs de fruits et légumes frais (cible: Rungis). Un critère-clé pour cette filière exigeante au niveau des délais.

Il a également touché à son service Euraf 4, démarré en direct à Marseille mi-2015, où la flotte est passée de sept à cinq navires de 3 600 EVP tandis que Marseille, les ports italiens et Barcelone ont perdu leur escale directe.

Avec une offre de transport estimée à 103 000 EVP par an, Maersk, qui a amorcé l’Afrique en 1989 avec deux porte-conteneurs d’une capacité de 400 EVP en 1989 (Maersk-Bella et Maersk-Bravo), opère désormais neuf services hebdomadaires directs entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest (en plus de ceux via ses hubs d’Algésiras et Tanger) et trois vers l’Afrique de l’Est en sortie du hub de Salalah. En sortie d’Asie, ce sont 10 services directs qui permettent de rallier les deux côtes africaines Est-Ouest et la Corne du continent. « Aujourd’hui, un conteneur sur trois est transporté en Afrique par Maersk-Safmarine », faisait valoir Claus Ellemann-Jensen, le directeur de Maersk France, dans un entretien à notre confrère de L’Antenne, estimant que « 2017 a été une bonne année pour l’Afrique, notamment pour la côte ouestafricaine », contrairement à 2015 et 2016. « Et pour 2018, les perspectives sont bonnes ».

Feederisation accrue

Cette montée en capacité entraîne une nouvelle dynamique de feederisation sous-régionale, analyse Yann Alix, signifiant que chaque ajout d’escale dans un nouveau service « entraîne mécaniquement une redéfinition des rapports de force et de concurrence entre les ports de la sous-région ». Le nouveau hub de Kribi de CMA CGM va « naturellement » feederiser une partie des trafics captifs de Douala qui ne peut pas lutter avec son chenal d’accès inférieur à 8 m, explique-t-il. Quant au futur Lekki, dont la gestion a été confiée à sa filiale CMA Terminals, « grâce à son positionnement géographique et à sa capacité, il nous permettra de faire escaler au Nigeria des navires de grande capacité venant d’Europe et d’Asie combinés à notre offre logistique et terrestre », fait valoir le groupe. Quoi qu’il en soit, les perspectives de croissance sont davantage dans l’augmentation des trafics intra-africains et la consolidation des trafics nationaux.

Les faits sont têtus: l’Afrique de l’Ouest (9 700 km de côtes et neuf ports desservis) représente un marché de 491 millions de personnes avec cinq pays enclavés. L’Afrique de l’Est (5 300 km mais seulement trois pays riverains d’un littoral et six ports sont desservis) offre un marché de 317 millions d’habitants avec sept pays enclavés. Pour y avoir accès, il reste quelques verrous à faire sauter.

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