Le grand refus de la relégation

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Ne pas se laisser « feederiser ». Obtenir son rond de serviette sur la scène portuaire internationale où sévissent les « winner take all », ces places portuaires érigées en grands « hubs ». C’est la grande affaire des ports insulaires en général. A fortiori pour ceux d’Outre-mer, points d’entrée de 95 % des échanges de marchandises destinées à la consommation intérieure. Autant dire vital pour leur « connectivité » avec le reste du monde.

À l’instar de la plupart des économies insulaires, les Départements et Collectivités d’Outre-mer (Dom-Com) ont quelques problématiques: l’étroitesse de leur marché, frein au développement d’une production locale, les contraint à avoir massivement recours à l’importation pour leurs approvisionnements en biens et en matières premières, qui arrivent dans des navires aux conteneurs pleins mais qui repartent quasiment vides faute d’exportations.

L’isolement géographique, qui renchérit le coût du fret maritime et majore les prix de vente aux consommateurs finaux, les oblige à mener constamment des opérations de séduction auprès des grands armateurs afin de sécuriser les lignes régulières directes, condition jugée capitale par ces « appendices » de la République française pour être approvisionnés dans de bonnes conditions et maintenir leurs exports, aussi faibles soient-ils, tels la banane et le sucre pour la Martinique et la Guadeloupe ou le nickel pour la Nouvelle-Calédonie.

Tour l’enjeu pour eux est donc d’éviter la relégation … alors que tout y concourt.

Double et triple peine

Le gigantisme des porte-conteneurs suppose des infrastructures adaptées (en termes d’accès, de profondeur, d’adaptation des quais, des moyens de manutention…) que peu sont en mesure de satisfaire complètement.

Le recours à la ligne maritime régulière, qui privilégie une organisation en grands hubs et dessertes vers les ports de « second rang » aux marchés les moins importants, ne font pas leurs affaires. Les ports d’Outre-mer n’ont pas forcément les volumes à charger ou à décharger pour prétendre à l’escale directe. La desserte par feeders est une situation repoussoir dans la mesure où ils viennent surenchérir le passage portuaire, allonger les délais et plomber encore un peu plus le quotidien insulaire, où la vie est chère mais le travail rare (le taux de chômage y est deux fois supérieur à celui de la Métropole), et les indices de richesse et de croissance, déjà en décrochage par rapport à la métropole (PIB, IDH et consorts).

« La France est le seul pays au monde riverain de trois océans », avance René-Louis Budoc, rapporteur d’une « somme » livresque de 218 pages (Les ports ultramarins au carrefour des échanges mondiaux), établie alors qu’il était au Conseil économique et social (Cese). « Il faut que le pays traduise cette réalité physique en facteur de croissance et d’influence géopolitique », plaide ce docteur en économie-gestion et président du directoire du Grand Port maritime de Guyane.

Atouts et influence

Atout maritime? Avec ses 11 ports à l’interface des océans, canaux, détroits et isthmes qui comptent, la France est au cœur des bassins qui concentrent une grande partie du trafic maritime international.

Influence? Environ 70 % des hydrocarbures du Moyen-Orient affluent vers l’Asie via les routes maritimes reliant le détroit d’Ormuz à celui de Malacca, long passage maritime de 800 km, par lequel transite l’essentiel du commerce en direction de l’Asie. Le canal du Mozambique, où des explorations ont permis de révéler la présence d’importantes réserves d’hydro-carbures, voit transiter 30 % de la production mondiale de pétrole. Le canal de Suez est la voie principale des échanges pour le pétrole et le gaz naturel liquéfié (GNL).

D’où « les défis à relever par les ports ultramarins », alerte Rémy-Louis Budoc, pointant la disqualification des infrastructures portuaires faute de mise aux standards.

Appel d’air

Dans un monde portuaire idéal, les Grands Ports maritimes français (GPM) auraient une carte à jouer. Celui de La Réunion s’imposerait comme un port de première touchée dans le trafic conteneurisé Nord-Sud. La Guyane s’affirmerait dans le cabotage interrégional. Ceux de Guadeloupe et de Martinique deviendraient des hubs régionaux complémentaires dans la zone Caraïbe, faisant la différence grâce à un haut niveau de services face à cinq autres sites déjà scellés dans le transbordement international.

Les mutations dans l’organisation du transport maritime vont nécessairement créer un appel d’air pour de nouvelles plateformes de transbordement, croient savoir les analystes. Le basculement du commerce mondial vers l’Asie est un facteur a priori favorable aux ports de l’océan Indien, donc ceux de La Réunion et de Mayotte.

Territoires oubliés

L’élargissement du canal de Panama est en soi une bonne nouvelle pour les ports français de la zone caraïbe si les scénarios tel qu’esquissés se figent dans le réel. Il en est attendu une reconfiguration des routes Est-Ouest (puisqu’il permet d’éviter de contourner l’Amérique du Sud), une modification des flux échangés (puisqu’il autorise le passage des méthaniers) et un affaiblissement probable du trafic des ports de la côte Ouest de l’Amérique du Nord et centrale (où déchargent jusqu’à présent des « Post-Panamax » en provenance d’Asie). Dans cette nouvelle hiérarchie des ports, la congestion de certains, notamment dans le transbordement, pourrait donc faire le jeu de nouveaux entrants. En prévision, les grands ports de transbordement du triangle des Caraïbes (Kingston, Freeport, Caucedo, San Juan) et du Nord de l’Amérique latine (ports panaméens, Carthagène en Colombie, Port of Spain sur l’île de Trinité au large du Venezuela) ont déjà enclenché les grands travaux pour rester dans la course.

Territoires oubliés de la classe politique française? Non, il existe une stratégie de l’État pour les territoires ultramarins, défend la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, rappelant que, dans la continuité du Comité interministériel de la mer (Cimer) de Brest et des Assises de l’économie de la mer du Havre, le Cimer du 17 novembre « a donné une impulsion nouvelle », avec des mesures « axées ».

Elle l’a rappelé encore, en février dernier, à l’occasion d’une intervention au CNES, en ouverture de la journée « Les Mers, nouveaux territoires à vivre pour les Outre-mer »: « L’enjeu est bien de faire des ports Outre-mer des hubs régionaux », a-t-elle alors défendu, assurant que « Nouméa est déjà la deuxième plateforme de transbordement de l’Océanie », que « La Réunion est bien placée pour être le hub régional dans l’océan Indien » et que « les Antilles françaises aspirent à devenir le hub des Caraïbes sud ».

C’est à cette occasion qu’elle a annoncé « un dispositif fiscal adapté aux spécificités des ports ultramarins ».

En attendant, il reste toujours à mettre « les ports ultramarins au carrefour des échanges mondiaux ».

En quelques mots …

– 11 ports dont 4 avec le statut de Grands Ports maritimes (GPM)

– Les économies insulaires dépendent à plus de 80 % des importations

– Les flux entre imports et exports sont extrêmement déséquilibrés

– Les échanges se font prioritairement avec la France métropolitaine et l’Europe

– Le GPM de La Réunion est aujourd’hui le leader ultramarin devant Nouméa

– Le transbordement représente pour certains entre 10 et 30 % du trafic conteneur

– Nouméa est l’un des rares ports exportateurs, lié à l’industrie du nickel

Un foyer pour l’économie bleue

Outre le portuaire, d’autres activités liées à la mer pourraient émerger, à l’instar des énergies marines renouvelables (EMR) ou des biotechnologies marines, indique une étude (L’Économie bleue dans l’Outre-mer) publiée en janvier 2018 par l’Institut d’émission des départements de la mer (Iedom), un établissement public qui fait office de banque centrale locale.

En matière d’économie bleue, l’Outre-mer a en effet des arguments à fourbir. Les EMR font d’ores et déjà l’objet d’expérimentations innovantes. Le Swac (Sea Water Air Conditioning) exploite l’eau froide des profondeurs pour le refroidissement des circuits d’eau douce de climatisation de grands bâtiments. Le système, développé par Naval Group, a fait l’objet d’une première installation mondiale à l’Intercontinental de Bora Bora en 2006. Il devrait être opérationnel fin 2020 à l’hôpital de Taaone (Polynésie). La Réunion a lancé un appel d’offres pour l’expérimenter dans le CHU de Saint-Pierre tandis que l’aéroport Roland-Garros en est au stade des études techniques.

La Martinique planche pour sa part sur les énergies thermiques des mers (ETM), également avec Naval Group. Un projet est à l’étude pour la création d’une centrale nommée Nemo, basée à Bellefontaine, à 5 km de la côte. D’une puissance de 16 MGW, la centrale pourrait alimenter près de 35 000 foyers martiniquais en électricité.

Pour rappel, la loi relative à la transition énergétique du 17 août 2015 pose comme objectif « de parvenir à l’autonomie énergétique dans les départements d’Outre-mer à l’horizon 2030, avec, comme objectif intermédiaire, 50 % d’énergies renouvelables à 2020 dans les quatre Dom et 30 % à Mayotte ».

Quelle place sur la scène internationale pour les ports d’Outre-mer?

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