Out of the box. L’expression, qui sert de métaphore aux entrepreneurs de la sphère numérique, prend un autre sens, pour le coup littéral, concernant les ports insulaires pour lesquels le « jeu » consiste précisément à ne pas se retrouver hors cadre, hors liste, hors champ. Or, si le rééquilibrage des transporteurs maritimes sur la ligne Extrême-Orient-Afrique-Amérique du Sud profitent a priori à certaines places portuaires d’Outre-mer, notamment celles de l’océan Indien, elles restent menacées par une organisation globale du transport maritime qui ne les privilégie pas sauf s’ils parviennent à convaincre en tant que plateforme de transbordement, comme l’ont concrétisé Port-Réunion et Port-Louis (toutefois pas française). Connue des professionnels, la nouvelle donne n’en demeure pas moins une angoisse pour des économies fortement dépendantes des importations, à 80 % des marchandises générales (en majorité des biens de consommation et, selon les bassins, des matériaux pour le BTP, des machines et équipements lourds destinés à l’industrie, des véhicules et pièces détachées…).
Avec plus d’une centaine de départs, 300 offres commerciales mensuelles et 26 services directs, Haropa se veut LE port leader de la France métropolitaine pour desservir les Dom, et notamment sur ceux au large de l’Amérique (cf. page 38: “Haropa, port leader métropolitain de la desserte des Dom”).
Largement distancé par les ports du Nord en termes de trafic global, le principal grand port du sud de la France n’a pas fait, non plus, véritablement recette avec l’Outre-mer en 2017 (cf. page 39: “Marseille: La Réunion, sa préférence”).
Pour sa part, Dunkerque veut capitaliser sur un transit-time favorable (cf. page 39: “Dunkerque veut sortir de sa condition de port bananier”).
Héritage du passé
De la dizaine d’armements offrant des services sur ces zones, CMA CGM est incontestablement celui qui revendique y déployer le plus de navires et « le seul à avoir une stratégie propre sur l’Outre-mer ». La compagnie doit cette antériorité au legs du passé en tant qu’héritière des compagnies maritimes françaises (CMA, Delmas) aux positions historiques fortes sur ces marchés.
Elle y est donc bien implantée et y opère cinq services aux Antilles, six services qui escalent à La Réunion et 2 deux en Nouvelle-Calédonie.
« Nous avons continuellement investi dans des infrastructures portuaires de l’Outre-mer, notamment dans notre hub de Pointe-des-Galets à La Réunion qui est en train de devenir un centre logistique pour l’Afrique de l’Est et l’océan Indien, mais également aux Antilles où nous utilisons Fort-de-France et Pointe-à-Pitre comme plateformes de transbordement pour tout l’Est de la Caraïbe », expliquait Guillaume Lathelize, directeur central des lignes Inde-Océanie et Dom-Tom du groupe dans un entretien récent à L’Antenne.
Le leader mondial, Maersk, fait valoir, pour sa part, quatres services directs hebdomadaires, un à destination de la Martinique et de la Guadeloupe (French Antilles Roundtrip), un autre entre les îles de l’océan Indien (IOI Feeder), connecté au Havre et à Fos via un transbordement à Salalah, un entre l’Asie et La Réunion (M Express) et le dernier entre le Moyen-Orient et La Réunion (Protea).
Ces couvertures ne sont pas sans risques pour les transporteurs au regard des flux particulièrement déséquilibrés des économies ultramarines avec des volumes extrêmement faibles au retour. Sur ces marchés, seule la ligne Antilles, liaison la plus sensible du point de vue de la concurrence, permet d’avoir une service structurellement bénéficiaire compte tenu de volumes plus importants et d’un taux de remplissage plus satisfaisant dans les deux sens.
Dans le sens Europe du Nord vers les Antilles, le marché est de type… monopsonique (un acheteur, plusieurs vendeurs). Six compagnies maritimes (identifiées) assurent le transport maritime de produits frais et de grande distribution: Maersk, CMA CGM, Marfret, Wec-Holland-Maas (ces trois dernières liées par un accord de Slot Charter Agreement), Geest Line et Horn Line (toutes deux avec leurs propres navires).
Le service Méditerranée-Antilles est plus, lui, monopolistique du fait des Vessel Share Agreemet (VSA) passés entre CMA CGM et Marfret. Sur cette ligne, les volumes sont faibles à l’aller et quasi inexistants au retour.
Infortunes
Présente historiquement sur ces destinations – Europe du nord vers les Antilles, Méditerranée vers les Antilles et Europe vers la Guyane –, l’armateur Marfret, qui peut être associé sur certains services à son illustre voisine marseillaise, y a connu quelques infortunes.
La compagnie, positionnée depuis 2008, sur la desserte inter-îles entre la Guadeloupe et la Martinique avec un service roulier opéré par sa filiale antillaise Ferrymar, a été douchée dans ses espoirs. Quelques mois après avoir doublé la fréquence hebdomadaire du nombre de rotations entre Fort-de-France à Pointe-à-Pitre avec le Marin, navire de Ferrymar, dans l’espoir de développer les échanges entre la Martinique et la Guadeloupe, elle a dû revenir à son service minimal, soit un seule par semaine.
La société encore familiale tente de résister à sa façon à la « moulinette du shipping global », pour ne pas tomber dans le piège des stratégies de volumes qui sont le fait des grandes routes maritimes Est-Ouest, selon les termes de Raymond Vidil, son dirigeant, qui déplore que le seul critère soit le prix.
Chantiers accélérateurs de trafics?
Sur ces destinations pas évidentes, il faut donc croire que les groupes français du transport maritime portent une perspective à moyen et long terme de développement de ces marchés, gageant sur une augmentation de leurs exportations, finalement un des principaux enjeux de ces économies insulaires où le secteur industriel est pénalisé par des handicaps structurels…
À La Réunion, par exemple, une politique sur le modèle d’import-substitution (qui consiste à réduire la part d’importations afin de développer le potentiel industriel d’un pays), en complément de tarifs bas sur le fret maritime en partance vers l’UE (mesure facilitée au regard du nombre de conteneurs vides), a permis à l’industrie agroalimentaire de développer ses exports.
Dans un avenir plus immédiat, les autorités portuaires peuvent espérer que les chantiers en cours – la Nouvelle Route du littoral (NRL) à La Réunion ou la rénovation des hôpitaux et centrales énergétiques aux Antilles – généreront du trafic.
Chantier phare (un budget évalué à 1,66 Md€), la NRL, le long de la côte Nord-Ouest de l’île, est un ensemble d’ouvrages d’art maritimes – viaducs et digues – sur près de 12,5 km. Sur la seule partie en mer, le chantier devrait consommer 38 000 tonnes d’acier et 300 000 m3 de béton. Sous maîtrise d’ouvrage de la Région, l’ouverture n’est pas prévue avant 2021, voire 2022. En cause: la difficulté d’approvisionnement en granulats pour la construction des digues…