Exister face aux autres …

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L’affaire est sans doute plus ardue pour La Guadeloupe et La Martinique qu’elle ne l’est pour La Réunion et l’île Maurice, où la concurrence est moins oppressante. Les deux ports français de la Caraïbe ont aussi, une fois mutés en Grands Ports maritimes suite à la réforme en 2012, joué la carte du hub régional, espèrant tout du changement d’échelle du canal de Panama, finalement achevé (juin 2016) bien plus tard qu’initialement prévu. L’élargissement des trois jeux d’écluses, en rendant admissibles des porte-conteneurs jusqu’à 366 m de long et 49 m de large, allait nécessairement engendrer un remaniement des lignes et des dessertes et générer de nouvelles opportunités de transbordement le long de tracés renouvelés. Selon les différentes études, entre 1,5 à 2 M EVP de plus pourraient être captés grâce à cette reconfiguration.

« Grand projet de port »

C’est du moins le pari qu’ont fait les GPM Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, classés aux 48e et 55e rang sur les 80 de la zone Amérique latine-Caraïbe en termes de trafic conteneurs (selon une note de l’Isemar établie en 2016).

La concurrence sur le marché du transbordement régional n’est pas le moindre des défis pour les ports antillais français, en dépit d’un positionnement a priori stratégique au centre d’une zone d’échanges active. Mariel à Cuba, Freeport aux Bahamas, Kingston en Jamaïque, Caucedo en République dominicaine, Limón au Costa Rica, Colón, Cristobal et Balboa au Panama et enfin Carthagène en Colombie occupent déjà le terrain du transbordement international avec quelques avantages de taille: une fiscalité attractive, des normes environnementales moins contraignantes, des charges sociales plus faibles, facteur non négligeable en matière de transbordement.

L’argument économique a probablement pesé dans le choix en 2015 de CMA CGM de préférer, aux îles pourtant françaises, Kingston en Jamaïque pour son grand hub Panama/Caraïbes. D’autant que ce dernier affiche d’autres facteurs séduisants: un emplacement moins excentré des routes empruntant le canal de Panama et des infrastructures plus en adéquation (Kingston dispose de 2 500 m de linéaire de quai, soit quatre fois plus que chacun des ports français).

Dans cette zone à la concurrence exacerbée, l’Isemar estime que « le plus probable serait de voir le GPM de la Guadeloupe devenir un hub régional dans les Caraïbes Sud en misant sur un service fiable et de qualité », d’autant que, là, il n’existe pas de plateforme capable d’accueillir et de redistribuer ces flux.

Inadapté pour accueillir les navires de plus grande taille, le GPM de Guadeloupe a entrepris en 2015 des grands travaux sur Jarry, l’un de ses 5 sites d’activité à Baie-Mahault*, qui concentre 90 % du trafic de marchandises avec notamment 9 quais spécialisés, une zone franche, dont « le plus grand entrepôt frigorifique de la Caraïbe », et un parc industriel.

Le grand dessein de Guadeloupe Port Caraïbes est son « Grand projet de port », selon l’appellation officielle, qui vise à asseoir une position de hub caribéen. Optimisation du terminal actuel, dragage du plan d’eau intérieur, approfondissement du chenal ont permis entre 2014 et 2016 de porter le tirant d’eau à plus de 16 m et ouvert la « porte » à des navires de 4 500 EVP (contre 2 500 EVP).

Une seconde phase de travaux, à horizon 2020, doit concrétiser la construction d’un nouveau quai de 350 m de long. La capacité globale des terminaux s’élèvera alors à 700 000 EVP par an et la surface du terminal sera augmentée de 12 ha.

Surcoût de 50 M€ par an

« Sans évolution du chenal ou des infrastructures, nous étions peu attractifs pour le trafic de transbordement et pénalisés pour le traitement du trafic domestique avec le risque d’évoluer vers la feederisation, nous rendant alors dépendant d’un autre port, avec un surcoût de 50 M€ par an », fait valoir la direction portuaire guadeloupéenne, qui souhaite tisser son réseau de manière plus dense autour de la Guyane alors que la stratégie était massivement concentrée jusqu’à présent sur les lignes Europe/Caraïbes.

Avec 3,7 Mt en 2016 et 2017, le GPM des Antilles françaises se situe au 12e rang national en termes de trafic de marchandises et en 5e position pour son trafic de conteneurs (classement 2016 en EVP).

En 2017, le transbordement a néanmoins déçu (5 000 boîtes de moins) comparativement aux précédentes années, où le trafic flirtait avec d’indécentes croissances, 40 % en 2015 par exemple, année où d’ailleurs le britannique Geest Line a marqué son retour sur les quais, complétant l’offre de CMA CGM (et de ses partenaires Maersk Line et Marfret) et celle de StreamLine.

2018, bons augures

En matière de transbordement, 2016 avait été une année exceptionnelle (près de 66 000 EVP, + 33 %), soit 31 % du trafic total de conteneurs. D’un premier trimestre, il est difficile d’en tirer des conclusions. Toutefois, avec 56 000 EVP au cours du premier trimestre, le port guadeloupéen démarre en hausse de 18 % par rapport à la même période l’an passé. Le transbordement et la ligne Paragwada opérée par CMA CGM (réorientée récemment, non sans générer des grincements de dents, vers l’Amérique centrale) y est pour beaucoup, juge le directeur général du GMP de Guadeloupe. Les 2/3 du nombre d’EVP ont en effet constitué du transbordement.

Synergies portuaires

En Martinique, l’autorité portuaire veut aussi s’imposer comme hub régional de la zone Caraïbe malgré la concurrence frontale du port de Trinidad (Cuba) et de ceux d’Amérique centrale. Le GPM s’est lancé dans un vaste programme de modernisation en plusieurs phases du site avec remise à niveau des portiques, rénovation des outils mais surtout extension du terminal pour les marchandises conteneurisées de la Pointe-des-Grives. Opérationnel depuis mi-2016, il permet de traiter 50 000 conteneurs de plus par an « avec des temps de passage plus courts ».

Cet investissement de 16,8 M€, dont 6,15 millions apportés par le GPM, vise à « diversifier l’offre de transport maritime martiniquaise en tentant d’attirer les lignes desservant également Anvers et Rotterdam » justifiait alors Jean-Rémy Villageois, le président du directoire du GPM de la Martinique.

Cette année-là, en 2016, « les choses [s’étaient] accélérées ». L’arrivée de StreamLine, en renfort de la desserte de l’île avec la métropole en sortie de Rouen avec 52 escales annuelles, et l’augmentation de capacité de CMA CGM et Marfret, avec le ro-ro Marin, le confortaient dans la stratégie.

En 2016, derniers chiffres communiqués, le trafic de conteneurs en nombre avait baissé de 4 % pour s’établir à 153 450 EVP mais le transbordement avait touché les 10 000 EVP, « dans un contexte de très forte évolution de la capacité dans le conteneur sur le marché Europe-Antilles ». Sans se départir, le GPM de la Martinique reste ancré sur son cap au long cours, à 320 000 EVP.

Dans le voisinage, nombre d’États fomentent et annoncent des investissements, créations de terminaux en eaux profondes (Jamaïque et Cuba), percement d’un nouveau canal interocéanique (Nicaragua), certains plus ou moins crédibles.

Dans cet environnement de plus en plus concurrentiel, les ports des deux îles des Antilles françaises, géographiquement proches, auraient tout à gagner, peut-on lire ici et là, à jouer des synergies portuaires. Une stratégie que préconisait déjà le Comité interministériel de la mer du 22 octobre 2015…

La banane, tout un trafic

Les flux des Grands ports de la Martinique et de la Guadeloupe se nourrissent à l’importation de biens de consommation en provenance de France et à l’exportation de la banane (avec le sucre). La banane (plus ou moins 250 000 t) représente 75 % des échanges entre les Antilles et la Métropole, et emploie quelque 10 000 personnes, toutes activités confondues, soit un actif sur vingt sur les îles, rappelle le Cese dans son rapport sur les économies ultramarines.

Vitale avec un chiffre d’affaires de plus de 200 M€ (hors aides communautaires), poursuit l’étude, la filière de la banane évolue dans un marché très concurrentiel. La Martinique et la Guadeloupe réunies se placent 11e sur l’échelle des pays exportateurs de bananes. L’Équateur, le Costa Rica et les Philippines, à la main-d’œuvre bon marché, trustent le haut du classement.

Le trafic – chaque semaine, 250 conteneurs, soit 5 000 t de fruits – a généré une ligne de fret Antilles-Métropole spécialement dédiée. Deux bananes sur cinq entrant sur le territoire français sont réexpédiées dans un autre pays européen. La France constitue donc la plateforme de la banane aux côtés du port d’Anvers.

CMA CGM est implanté depuis plus de 80 ans sur ces flux. Les navires de sa ligne North Europe-French Atlantic Coast-French West Indies relient les ports de Pointe-des-Grives (Fort-de-France) et Port-Jarry (Pointe-à-Pitre) au Nord de l’Europe. Il propose également la ligne Mediterranean Caribbean au départ de Fos.

* Les autres sont Pointe-à-Pitre pour la maintenance des grands yachts, Basse-Terre pour le trafic mixte, Folle Anse à Marie-Galante pour le cabotage et le port de plaisance de Bas-du-Fort.

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