Objet visible de loin

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Pour elle, objet de modernité toute verticale, l’emblématique maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, avait consenti à modifier les documents d’urbanisme de façon à libérer administrativement les envies de hauteur dans cette zone plafonnée. Lui, l’élu dévot, avait pourtant longtemps résisté afin de mettre à l’abri de la concurrence l’altière basilique romano-byzantine Notre-Dame-de-la-Garde (dite Bonne-Mère), juchée depuis 1864 sur son piton à plus de 200 m. Ainsi, asymétrique et sculpturale sous les traits de fusain de l’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid, la tour CMA CGM a-t-elle pu finalement se hisser à 147 m de haut, crevant le plafond de la ville et défiant les nuages tout en regardant la montagne Sainte-Victoire. Elle fut aussi la première tour à s’implanter sur des vides creusés par le déclin post-industriel le long du littoral portuaire. Devenant autant le signe distinctif d’une métropole qui veut se « signaler au monde » par des objets visibles de loin, que l’incarnation de la puissance d’une entreprise et de la réussite d’un homme. Celle de Jacques Saadé, dernier des Mohicans parmi les grands capitaines d’industrie, finalement jamais salué comme tel dans le pays qui accueillit il y a quatre décennies cet entrepreneur en exil avec sa famille. Sans cet homme né au Liban et élevé en Syrie, aux façons de faire (levantines) que l’on dit rudoyant mais au caractère viscéralement indépendant, la France ne compterait sans doute pas dans ses rangs un armateur français de cette envergure.

Pour autant, sa disparition n’aura suscité que peu de réverbération médiatique, hors des cénacles spécialisés, et à l’exception de quelques hommages sous les ors de la République. Imaginerait-on seulement l’annonce de la mort d’un François Michelin ou d’un Jean-Luc Lagardère (le chevalier blanc de l’industrie aéronautique française) sans une mention spéciale dans le JT d’un mainstream à une heure de grande écoute? Une incongruité pour ce bâtisseur d’un autre temps qui aura offert à son pays d’adoption rien moins que le troisième acteur mondial de la conteneurisation dans une compétition internationale qui ne compte qu’une poignée de grands « faiseurs ». Un « hard power » de l’économie française et un « soft power de notre internationalisation », dira dans d’autres termes un observateur avisé dans ce numéro.

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