Avec la nouvelle génération de porte-conteneurs, dépassant allégrement les 15 000 EVP, frisant pour certains les 20 000 EVP, le coût de construction de ces mastodontes des mers, et de fait la valeur à assurer, va inéluctablement croissant. Pour assurer ces navires, les assureurs pratiquent la coassurance consistant à se répartir entre eux les risques. Si la technique est rodée dans le monde de l’assurance, le gigantisme croissant des navires les oblige toutefois à être plus vigilants dans la répartition de leurs engagements.
Impressionnants par leur taille, les porte-conteneurs géants ne sont pas pour autant les unités flottantes les plus chères, informe Mathieu Berrurier, directeur général du groupe de courtage d’assurance maritime Eysautier: « Les nouveaux porte-conteneurs sont très impressionnants pour le public, compte tenu de leur taille. Tous les armateurs sont aujourd’hui engagés dans la constitution d’une flotte de porte-conteneurs, plus grande que celle du concurrent. Mais ces navires restent néanmoins raisonnables en termes de valeurs, contrairement aux paquebots, dont la valeur peut dépasser le milliard de dollars, ou aux unités flottantes de production, de stockage et de déchargement utilisées dans la production d’hydrocarbure (FPSO), ou encore aux unités de regazéification (FSRU), qui sont des bâtiments d’une plus grande technicité et d’une valeur plus forte, même si leur taille est moindre que celle des porte-conteneurs géants ».
Navires plus gros mais plus sûrs?
Les assureurs s’efforcent d’analyser l’éventualité d’un accroissement de risque lié à la taille du navire, et s’interrogent pour savoir si la fréquence des sinistres augmentera avec des infrastructures portuaires sous-dimensionnées, ou une cadence de chargement plus élevée. De plus gros navires pourraient, de ce point de vue, faire courir davantage de risques. Mais une analyse plus optimiste relève que les navires plus gros sont généralement plus modernes, mieux équipés, plus automatisés, ce qui rend leur exploitation moins risquée. La question n’est pas tranchée. Conséquence indirecte de l’augmentation de la taille des navires porte-conteneurs: chaque navire escale dans un nombre plus réduit de ports, ce qui conduit au développement du feedering, « avec un risque potentiellement beaucoup plus élevé lorsque le transbordement de conteneurs se passe en mer; mais il s’agit d’une interrogation plutôt que d’un constat, car il n’y a pas d’étude montrant clairement une augmentation du nombre de sinistres imputables au transbordement », souligne Frédéric Denèfle, directeur des relations extérieures du Comité d’études et de services des assureurs maritimes et transports (Cesam).
Quoi qu’il en soit, l’augmentation de la taille des navires n’a jamais causé de problème aux assureurs, poursuit Frédéric Denèfle: « La problématique posée aux assureurs se situe davantage dans l’évaluation de leur engagement sur les corps de navires de plus en plus gros, et sur les marchandises transportées en plus grand nombre: jusqu’où sont-ils prêts à aller? Ils doivent identifier le plus précisément possible s engagements. Pour l’assurance sur le corps du navire, il est très facile pour un assureur de savoir jusqu’à quel point il est exposé en fonction du pourcentage du navire sur lequel il est engagé ».
Cumul des valeurs
En revanche, il est plus compliqué d’estimer précisément le montant total des valeurs assurées par les uns et les autres. En termes d’assurance, le risque est donc moins sur le corps du porte-conteneurs que sur le cumul des valeurs de marchandises embarquées. « Sur les plus gros navires, un assureur a du mal à évaluer le cumul de ses engagements, compte tenu du nombre de conteneurs embarqués et du fait que chaque boîte peut avoir plusieurs chargeurs », pointe Mathieu Berrurier.
La concentration des marchandises n’a pas lieu seulement dans les cales et sur les ponts des navires mais aussi dans les ports, sur les quais ou dans les terminaux. Partout où la concentration des valeurs assurée est grande, le risque de surexposition existe pour l’assureur.
En cas de perte totale du navire, une nouvelle épreuve attend l’assureur: le retirement de l’épave. D’une part, la réglementation a évolué sur ce sujet, puisqu’il n’est plus question de laisser une épave par le fond comme il était d’usage autrefois, a fortiori dans le cas d’une zone sensible pour la protection de l’environnement. Par ailleurs, plus la taille du navire est importante, plus le retirement de l’épave va soulever des contraintes techniques, se soldant toujours par une augmentation des coûts. À titre d’exemple, dans le cas du naufrage du Costa-Concordia, les assureurs ont payé moins pour indemniser la perte de la coque elle-même (500 M€), que pour son retirement (750 M€). La question est d’autant plus délicate pour les professionnels de l’assurance que le coût du retirement d’une épave est tributaire d’un nombre de paramètres tel que l’anticipation est rendue difficile (tandis que la valeur de la coque est, elle, connue avec précision). Or, il n’y a pas de place pour l’incertitude en matière d’assurance maritime, rien ne rebute davantage un professionnel que de ne pas savoir à quoi il s’est engagé…
Les paquebots n’échappent pas au phénomène, l’assurance responsabilité civile, liée à la pollution ou aux passagers, évolue également plus vite que celle du navire. Le prix de la vie humaine augmente, le nombre de passagers sur chaque paquebot aussi. Leur gigantisme pose donc au secteur de l’assurance une problématique bien plus complexe à gérer encore que peut l’être le transport de marchandises.